Pascal Denoël et ses acolytes sont rentrés de l’Everest il y a quelques semaines. Ce printemps, ces Français visaient le toit du monde par son versant nord. Ils sont rentrés sains et saufs alors que rien ne s’est déroulé comme prévu. Et sur ce type d’aventure, les imprévus peuvent parfois êtres dramatiques. Un sursaut de lucidité au bon moment, et sans doute un peu de chance, auront empêché une issue tragique à cette expédition lointaine. Résumé de cette expédition, qui nous rappelle l’importance de pouvoir faire confiance à son opérateur d’expé.
Acte I : l’arrivée à Katmandou et l’interminable attente
Tout commence début avril quand nos alpinistes français arrivent à Katmandou, c’est le point de passage pour rejoindre la Chine par la route, et le camp de base tibétain de l’Everest. L’attente commence. Les visas chinois tardent à venir. L’attente continue mais l’heure tourne. Chaque jour sans ce visa, c’est du temps en moins sur l’Everest. Alors Pascal entraine son groupe dans les montagnes népalaises pour entamer une acclimatation à l’altitude, indispensable pour prétendre grimper sur un 8.000. Au bout de trois semaines de patience (et d’acclimatation), l’opérateur d’expédition commence à proposer de changer de versant. L’accès à l’Everest par le côté népalais est administrativement plus simple.
Seuls les 3 Français du groupe restent fidèles au contrat initial et persistent à vouloir grimper par le versant nord, plus sauvage, moins fréquenté. Le reste de leur équipe, des Russes, filent vers le camp de base népalais. C’est finalement le 10 mai, plus d’un mois après l’arrivée au Népal, que les visas pour la Chine arrivent. Quelques jours plus tard, les sherpas ont les visas à leur tour. Le 14 mai, la frontière est passée. Les Français sont au camp de base quelques heures plus tard, avec des semaines de retard.
Acte II : acclimatation à marche forcée sur l’Everest
Les prévisions météo semblent dessiner une fenêtre pour un sommet avant la fin du mois. Les délais sont extrêmement courts. Les trois Français ont bien débuté leur acclimatation eu Népal, mais n’ont que ponctuellement dépassé les 5.000m. Il faut du temps à l’organisme pour s’habituer au manque d’oxygène et l’idéal est de grimper à 6.000, puis 7.000, en prenant soin de redescendre plus bas. Pour la première rotation, les yaks ne sont pas là. Quelques jours plus tard, les sherpas sont fatigués et indisponibles. Il faut avancer sans eux. Les trois Français commencent à se questionner sur le sérieux de l’opérateur d’expédition.
Quant aux autorités, elles refusent de prolonger le visa. Il y aura donc une seule et unique chance de sommet. L’acclimatation est dure, l’altitude bouscule les organismes. On ne dort plus, on mange moins, la fatigue s’installe. L’effort pour parvenir au Col Nord, 7.000m, est immense. Et une simple soupe pour se remettre. La logistique d’expédition ne semble pas être le fort de l’opérateur choisi par les Français, il n’y a pas grand-chose à manger pour eux au Col Nord. Et que dire de l’oubli de donner un masque à oxygène à un client supposé utiliser une bouteille quelques heures plus tard… Ou de l’obligation d’utiliser discrètement les toilettes d’une autre expédition, faute de toilettes installées par leur opérateur.
Acte III : mensonges et trahisons en haute altitude
C’est ébahis que les Français voient revenir leurs sherpas du Camp 3 où ils ont déposé des bouteilles d’oxygène. Ils ont fait l’aller-retour en un temps record. Du moins le croient-ils. Le départ pour le sommet est là. La première étape jusqu’au Col Nord se fait sans encombre, un peu plus rapidement que lors de la rotation d’acclimatation. Vers 4h du matin le 27 mai, Pascal et Christophe quittent leur tente au Camp 1 (Col Nord). Le troisième larron ne comptait pas aller au sommet, il est de retour au pied de la montagne.
7.770m, les deux hommes sont au Camp 2 après plus de 7h d’effort. Leurs sherpas ne sont là qu’à l’approche du camp. Le reste du temps, les Français grimpent seuls dans un cadre grandiose. Pascal a réussi à atteindre cette altitude sans oxygène. Mais désormais, il faudra utiliser une bouteille du précieux gaz. Avec une seule rotation d’acclimatation, ce serait suicidaire d’avancer plus haut sans oxygène.
Le soir même, après quelques heures d’un pseudo-repos, il faut repartir vers le sommet ! Sauf que le vent a forci, quelques heures d’attente supplémentaire et le duo et leurs sherpas sont prêts. Des bouteilles d’oxygène manquent à l’appel, celles qui sont là ne sont pas pleines. A force de discussions avec les sherpas, les Français comprennent enfin qu’il n’y a aucune bouteille eu Camp 3. « Je suis dans un état de sidération, paralysé par une vérité qui nous explose en pleine figure » écrit alors Pascal. Quelques heures plus tard, le sherpa Tenzing annonce qu’il va descendre, il commence à démonter la tente alors que les occupants n’ont pas fini d’en sortir. Le vent est toujours fort et le sherpa avoue n’avoir jamais eu l’expérience d’un tel vent.
Acte IV : l’issue inespérée !
La descente a commencé, il faut perdre de l’altitude. Les sherpas sont exténués : « Non seulement nous n’avions plus de bouffe, d’ox, de tente, mais nos 2 sherpas étaient cuits ! » souligne Pascal. Les yaks sont moins nombreux à la descente, probablement encore pour faire quelques économies. Avant de quitter la montagne, les Français trouvent un fut renfermant les bouteilles d’oxygène remplies. Celles qu’ils ont achetées et qui n’ont jamais été acheminées sur la montagne. « Ces bouteilles, qui nous ont tant manquées là-haut !! »
Que se serait-il passé sans le vent qui a tout stoppé au Camp 2 ? Quand arrivés au Camp 3 épuisés, ils n’auraient pas trouvé les bouteilles d’oxygène promises ? Que se serait-il passé sans le sursaut de lucidité qui leur a intimé l’ordre de redescendre au lieu de continuer vers le sommet ? Sur ce type d’expéditions, les accidents arrivent rarement pour une seule raison. C’est souvent la multiplication des petits problèmes qui a des conséquences dramatiques. Des sherpas sans expérience (vendus pour des sherpas expérimentés), une logistique totalement défaillante (manque de tentes, de nourriture, oxygène absent), venaient s’ajouter à une acclimatation très courte à cause des délais administratifs. Trop de paramètres dans le rouge sur un 8.000. Dans ces conditions, le retour sain et sauf des trois Français est vraiment une issue quasi-inespérée !
Illustration © P. Denoel