Kristin Harila a gravi le Manaslu il y a quelques heures. Avant de faire un passage par un lit d’hôpital à Katmandou, victime d’une infection et de déshydratation. Elle va mieux mais on ne peut pas en dire autant de la controverse suscitée par son ascension. A première lecture, on peut croire qu’il s’agit d’une critique sur le style choisi par Harila, loin des pionniers de l’himalayisme ou du style alpin de l’élite actuelle. En réalité, des conséquences majeures se cachent derrière cette polémique. Et les premiers à en souffrir pourraient bien être ceux qui s’investissent le plus dans le record de la Norvégienne. Les Sherpas.
C’est un nouveau rebondissement dans la tentative de « record » lancée par la Norvégienne Kristin Harila. Pour ne pas perdre de précieuses semaines, elle a préféré gravir son dernier sommet népalais ce printemps, sans attendre le passage de la mousson. Elle était donc au sommet du Manaslu ce 10 juin 2023 vers 3h30 du matin. S’il s’agit donc de son neuvième sommet de +8.000 en un temps record, d’autres questions ont surgi quelques heures plus tard. Une nouvelle polémique concernant Kristin Harila ?
Ces hélicoptères qui changent la donne
Comme sur l’Annapurna 5 jours plus tôt, Harila et son équipe étaient seuls sur la montagne. Contrairement à la plupart de leurs autres ascensions cette saison, la voie n’était donc pas fraichement tracée par des dizaines d’autres expéditions commerciales. Un respecté guide sherpa, Mingma Gyalje, a partagé une vidéo qui pose un certain nombre de questions sur ces deux dernières ascensions. On y voit un hélicoptère qui monte à destination des camps d’altitude.
Si on en croit son tracker, Harila n’était vraisemblablement pas à bord. Mais le doute a un temps plané sur les réseaux sociaux, déchainant la foule de supporters de la Norvégienne contre les nombreux porte-drapeaux d’un alpinisme éthique dont la définition est loin d’être acquise. Passée la fureur de ces premiers échanges, le point a été clarifié. L’hélicoptère aurait plutôt été utilisé pour acheminer matériel et sherpas jusqu’aux camps supérieurs. De cette manière, ils ont pu tracer la voie en descente. Une approche plus rapide et moins éprouvante qui sonne comme une nouvelle méthode particulièrement efficace pour ouvrir une voie pour certains. Pour d’autres, comme Mingma G. : « déposer l’équipe dans des camps plus élevés et ouvrir la voie nuit totalement à l’éthique de l’escalade ».
Quelles conséquences face à cette pratique ?
C’est « la première fois que j’entends parler d’ouvrir la voie en descendant la montagne » ajoute le sherpa. Il évoque un « nouveau modèle qui se développe » et souligne un impact sur la « renommée » des sherpas. Mais les conséquences ne sont sans doute pas seulement une question d’image de marque. Si cette pratique tend à se généraliser, dans le sillage de l’ « exemple » proposé par Harila, les 8.000 vont donc être « ouverts » et « gravis » plus rapidement. La mission des sherpas va donc se réduire, et avec, leurs revenus. Dans un pays à la pauvreté omniprésente, l’industrie des expéditions avaient jusque-là le mérite de générer des revenus pour le peuple sherpa.
Certains risques seront écartés, en réduisant le temps passé sur la montagne, mais pas ceux liés au Mal des Montagnes. L’acclimatation à la haute altitude prend du temps et nécessite d’avancer progressivement vers le haut. Si on vous dépose à un camp d’altitude pour que vous travailliez en descendant, qu’en est-il de votre acclimatation ? L’impact pourrait donc porter sur les revenus et la santé des sherpas. Sans compter qu’un recours plus massif aux hélicoptères, au-delà de l’empreinte carbone plus que questionnable, n’enrichira pas les sherpas mais bien une petite élite de Katmandou qui possède la flotte d’appareils du pays.
Le sujet n’est donc probablement pas l’impact de cette pratique sur la validité du record d’Harila. Qu’on le veuille ou non, elle cherche à réaliser un « record » avec oxygène en bouteille, soutien massif de sherpas, hélicoptère, etc… A l’image du record établi précédemment par Nims Dai. La polémique concernant Harila est donc hors sujet. En revanche, les conséquences sur l’industrie des expéditions et leurs acteurs principaux, les sherpas, ne paraissent pas si neutres.
Illustration © Mingma G.