Guillaume a 22 ans. Il réside en Belgique, loin, très loin des montagnes. Pourtant il y a quelques semaines, cet étudiant en médecine vétérinaire réalisait l’ascension du Mont Blanc par la voie des Trois Monts. Dans son dos, un parapente… Une histoire forte en émotions pour ce passionné de montagne. Suivons-le dans son aventure ! Le récit qui suit est signé Guillaume, en personne.
En parapente du Mont Blanc, la genèse du projet
Décoller du sommet du Mont-Blanc en parapente n’est pas, en soit, une chose compliquée. Bien-sur, il y a le manque d’oxygène et la fatigue due à l’ascension, mais le toit de l’Europe offre une plateforme d’environ 30 mètres sur 80, exposée à presque 360°. Il n’y a qu’un vent d’ouest qui compromet un décollage, et encore…
Ce qui est moins évident, c’est de monter là-haut avec tout le matériel, d’une part pour l’ascension elle-même, et d’autre part, pour le vol… Avec une fenêtre météo bien précise et courte, souvent seul ; car il n’est pas toujours évident de se trouver un compagnon pour une telle aventure, surtout quand on vient du plat pays.
J’avais décidé que tout ça ne serait pas un problème pour moi. Je rêvais de décoller du sommet du Mont-blanc depuis mes débuts en parapente. J’en rêvais depuis mon premier vol au Revard avec un casque de vélo sur la tête. J’en rêvais si fort, que ça en devenait même une obsession. Il me tenait à cœur de passer par les 3 Monts, même si j’avais bien conscience que ce n’était pas me faciliter la tâche. L’Aiguille du midi m’enivre depuis longtemps, et je voulais absolument partir de là pour mon premier décollage à 4.800m.
J’avais effectué une première tentative le printemps passé, mais sans succès. Ma sellette était trop lourde, et je n’avais pas réussi à monter plus haut que 4.200m, au sommet du Tacul. Pour cet été, je m’étais dégoté une sellette string que j’utilise également pour le passager biplace. Avec la BGD Riot et le secours, je n’avais plus que 4,8 kg supplémentaire à mon matériel d’alpinisme.
Après avoir pris mes renseignements sur l’état du Tacul et du Maudit, me voila parti pour le campement de l’aiguille, à 3.600m, face au Mont-Blanc, plus magnifique que jamais.
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Ascension nocturne avec des compagnons russes
C’est là que je tombai sur un trio de russe qui, hormis le décollage en parapente, avait la même intention que moi. Par quelques gestes, je leur fis comprendre que j’étais seul avec ma voile, que j’avais l’intention de partir cette nuit pour le Mont-Blanc, et que ce serait chouette d’y aller ensemble. Ce n’était pas la première fois que je grimpais dans le coin, et je m’étais préparé pour une ascension totalement solitaire, mais à plusieurs, c’était toujours mieux.
Aucun d’eux ne pratiquait le parapente et l’idée de décoller de si haut les intriguait, alors ils acceptèrent. Nous partîmes du Col de l’Aiguille à 1h du matin, mais la veille un éboulement avait arraché l’échelle utile au passage de la première crevasse et avait emporté avec lui les traces des autres alpinistes. Dans la nuit noire, il fallut fixer des points d’encrages dans la glace et, sans aucune traces ni installations, nous mîmes pas moins de quatre heures pour arriver à l’épaule du Tacul.
Pas une minute à perdre, nous voulions tous avoir le temps de profiter du sommet. On fila à travers le col Maudit pour entamer l’ascension du sommet du même nom. Ascension qui se fit sans difficultés particulières.
Arrivé à la rimaille finale, j’aperçus le soleil se lever au loin, nous étions déjà à 4.400m, et une légère brise soufflait le vent de la Victoire. J’aperçus alors le Blanc droit devant moi, semblant tout autant à portée de main qu’encore très lointain.
L’arrivée au sommet, seul !
Par quelques gestes, je fis comprendre à mes nouveaux compagnons que j’allais ralentir la cadence et que je continuerais seul. Eux devaient se dépêcher car ils allaient encore redescendre jusqu’au refuge du Goûter dans la même journée, moi j’avais mon temps puisque j’allais repartir d’ici en volant, et au fond de moi, je pense que j’avais envie de terminer l’ascension comme j’étais venu, seul.
Je les remerciai chaleureusement, et le plus costaud d’entre eux me mit une tape amicale dans le dos qui, du point de vue de ma carrure, n’eut rien d’amical.
Je les regardai s’en aller en fumant une cigarette. Le temps qu’elle soit consumée, ils avaient déjà disparu derrière le col de la Brenva – de sacrés alpinistes ces russes.
Je me mis à marcher, lentement, avec les Velvet Underground dans les oreilles. Le paysage était lunaire, et le Blanc, qui me donnait envie depuis si longtemps que j’en étais venu à me demander si il ne me charriait pas, semblait désormais si proche.
Je marchai ainsi pendant 3 heures avant d’arriver à une centaine de mètres du sommet, où je pris le temps de m’asseoir. J’attendais ce moment depuis tellement longtemps, je l’attendais tellement fort que je redoutais peut être même de le vivre. Je repensais à toutes les raisons qui m’avaient poussé à monter ici, et je ne pus retenir une larme. Je remis mon sac sur le dos et trottinai presque sur les cent derniers mètres. La vue à 360 degrés qu’offre le sommet est incroyable. D’un côté l’Italie, le grand Paradis et la vallée d’Aoste. De l’autre le Brévent, Chamonix, Samoëns, les fumées de Lyon, presque toute la France, presque le bout du monde…
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Le décollage du Mont Blanc !
Je sortis ma voile – pas un zeste de vent, pas un brin d’air – rien. Malgré le manque d’oxygène, il allait falloir courir vite pour décoller. Je fis une première tentative, puis une seconde, et même une troisième, mais sans succès. Il n’y avait vraiment pas de vent et la diminution de la pression atmosphérique réduisait la portance de ma voile.
Il y avait une vingtaine de personne au sommet, et les Russes étaient déjà repartis. Les autres alpinistes, venus par le Goûter et munis de leurs appareils photos, me regardaient d’un air pressé, et ça me mettait mal à l’aise. J’attendais qu’ils s’en aillent.
À 13h30, les premiers cumulus bourgeonnèrent environ 1.500 mètres en dessous de moi, rendant le sommet inaccessible aux brises thermiques de vallée. Je me plaçai alors sur la face sud du Mont blanc, là où des masses rocheuses situées à environ 4.000 mètres en contre bas, côté italien, faisaient naître quelques cycles thermiques. J’avais le sommet pour moi tout seul, et j’étais au paradis.
Je décollai sans difficultés vers 14 heures en direction de l’Italie. Les brises thermiques créées par les masses rocheuses me permirent de me maintenir au niveau du sommet pendant quelques instants, quelques instants que j’aurais voulu être des heures. Quelle chance de pouvoir vivre ça dans une vie, quelle extase. Sur la face nord-ouest, je retrouvai la dernière cordée partie du sommet 40 minutes auparavant, et je continuai mon survol des glaciers, en direction de Chamonix.
Un vol de 45 minutes, dont je n’aurais su évaluer la durée sans vario… Le genre de vol extraordinaire, non pas par sa performance, mais parce qu’il a ce goût de la grande aventure.
Illustration © Guillaume Segers