C’était il y a 60 ans… une expédition partait pour le Cerro Torre. En revenant, elle allait amorcer la plus grande controverse de l’histoire de l’alpinisme moderne.
L’époque
Dans les années 1950, l’attention des alpinistes se porte sur l’Amérique du Sud et notamment la Patagonie. En 1952, une expédition française emmenée par Lional Terray et Guido Magnone réalise ainsi la première ascension du Fitz Roy. En 1953, c’est au tour de la Face Sud de l’Aconcagua de tomber, face à la pugnacité d’une autre équipe de Français. Mais il est un sommet qui défie tous les experts du rocher, tous les aficionados de la haute montagne. Le Cerro Torre. A cette époque, il est considéré comme impossible par les plus grands. Durant l’été austral 1957-1958, Walter Bonatti et Carlo Mauri jettent l’éponge après seulement quelques centaines de mètres de grimpe. Mais un autre Italien, Cesare Maestri, va relever le défi. Il vaincra le Cerro Torre. Quand il se lance dans ce projet, il est loin d’imaginer que cette montagne le hantera jusqu’à la fin de ses jours.
L’expédition de 1959
Accompagné par Toni Egger et Cesarino Fava, Cesare Maestri revient en Patagonie en 1959 pour s’attaquer au Cerro Torre. Après quelques longueurs, Fava lâche l’affaire, il n’y arrivera pas. Les deux autres persistent et les heures passent sans que le camp de base n’ait de nouvelles des deux grimpeurs. Ils montent jusqu’au sommet qu’ils atteignent dans le mauvais temps. A la descente, Egger chute fatalement, emporté par une avalanche. Maestri tombe aussi mais sera retrouvé quelques jours plus tard par Fava, à demi-enseveli. Eprouvé par le décès de son compagnon de cordée, il racontera leur succès puis le drame de la descente. La fin est terrible mais Maestri est parvenu à vaincre le Cerro Torre. Enfin, c’est ce qu’il raconte…
La vérité sur 1959
La vérité, personne ne la connaît, à part Cesare Maestri. Mais au fil des années, le monde de la montagne s’est bâti des convictions assez solides concernant cette expédition de 1959. Les incohérences dans l’histoire racontée par Maestri, des détails donnés qui n’ont rien à voir avec ce que d’autres grimpeurs découvrent sur la montagne… Sans compter qu’aucun piton n’a été trouvé plus haut que 300 mètres de voie. Les experts sont formels, Maestri et Egger ne sont jamais allés au sommet. C’est impossible. Ils ont dû essayer, mais ne sont pas allés beaucoup plus haut que Bonatti et Mauri l’année précédente (sur une autre voie). Quand le mauvais temps s’est levé et qu’une avalanche s’est déclenchée, Egger a été balayé bien loin du sommet. A l’initiative de ce projet, très entêté, Maestri avait dès lors sa mort sur la conscience. Est-ce pour l’apaiser qu’il a inventé toute cette histoire ? Pour offrir à Egger ce sommet qu’il ne vaincra jamais plus ? Nul ne le sait, car Maestri n’a jamais changé son fusil d’épaule, il maintient sa version des faits et leur succès au sommet.
En 1970, il décide de retourner au Cerro Torre pour prouver que c’était possible (entre temps, personne n’a réussi). Equipé d’une perceuse et d’un lourd compresseur, il grimpe en posant des pitons à expansion dans le rocher. Et malgré cette technique (déjà décriée à l’époque), il ne parvient pas au sommet. Il rentre en Italie dépité.
Ce n’est qu’en janvier 1974 que le sommet est atteint par une autre cordée italienne, sans Cesare Maestri.
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Illustration © Davide Brighenti