Le 11 février dernier, les italiens Simone Moro et Tamara Lunger réalisaient la première ascension hivernale d’un sommet en apparence anodin : le Pik Pobeda. Situé en plein cœur de la région la plus froide de l’hémisphère nord, la Sibérie, ce sommet culmine à 3.003 mètres. Elle est de retour en Europe… Alors ??
Altitude.News – De retour en Europe ! Vous avez réussi !
Tamara Lunger – Je pensais que ça serait beaucoup plus compliqué, surtout beaucoup plus froid, je m’étais préparée à du -70°C ! J’avais accepté l’idée d’avoir froid ! Quand Simone m’a parlé de cette opportunité en Sibérie, j’ai réfléchi pendant deux mois. J’avais pas peur de l’éloignement, de la difficulté technique. En fait, j’avais peur du froid.
« J’avais peur du froid ! »
A.N. – C’était une expédition très différente des précédentes !
T.L. – Oui mais c’est ce que je voulais. La dernière fois au Kangchenjunga, c’était la fois de trop. (NDLR : le camp de base surpeuplé, les vols dans les tentes…). Je voulais quelque chose de très différent. Alors quand Simone m’a parlé de ce projet… si loin, dans un endroit si reculé. Plus de 6 jours de voyage pour arriver au pied de la montagne. J’adore l’idée des endroits déserts, loin de tout. Là c’était vraiment loin, 3 vols, 1 journée de 4×4 qui n’en finissait pas, des heures de motoneiges. Tout çà rien que pour arriver jusqu’au camp.
A.N. – Et une équipe de 3 grimpeurs :
T.L. – On était 5 au total : Simone Moro, Matteo Zanga un photographe, un journaliste italo-russe Filippo Valoti-Alebardi et un grimpeur russe Oleg Sayfulin qui connaissait bien le Pobeda, et moi ! Filippo connaît bien la région, il avait tout arrangé, notamment pour que l’on puisse s’abriter chez des éleveurs nomades au pied du Pobeda. Oleg aurait du gravir le sommet avec nous, mais il n’avait pas de skis. Avec les skis on a pu aller beaucoup plus vite et faire l’ascension sur une journée. Sans les skis, on aurait dû ajouter des camps d’altitude. On ne savait pas qu’il y aurait tant de neige, on avait pris les skis au cas où.
Au total, on a eu seulement 3 jours de beau temps. La neige était très étrange pour nous, comme il faisait très froid, elle était très légère, très poudreuse. Sans les skis, on s’enfonçait jusqu’aux genoux dès qu’on quittait le camp.
« On était à environ -40°C ! »
A.N. – Et le jour J
T.L. – Il faisait pas beau. Il a neigé toute la journée et c’était nuageux. Mais du coup, il ne faisait pas si froid. Au sommet, on était à environ -40°C, plus un peu de vent. Il parait que cette année est spéciale, qu’il fait moins froid que d’habitude, mais qu’il y a beaucoup plus de neige ! On a grimpé 7h jusqu’au sommet puis il nous a fallu 4h pour rentrer à l’abri. C’était vraiment très exposé. Beaucoup plus technique que ce à quoi on était habitué en Himalaya. Des pentes entre 45 et 60°. Très vertical. Et pas question de tomber, on aurait chuté de 1.500 mètres.
A.N. – Au pied du Pobeda, vous viviez donc avec des éleveurs nomades
T.L. – Oui, c’était assez incroyable. Sans le voir, on a du mal à imaginer ce que ça peut être d’aller casser de la glace pour la faire fondre si on veut avoir un peu d’eau, couper du bois pour alimenter le feu. Nous c’était quelques jours d’une expédition, mais eux c’est leur quotidien ! Ils sont loin de tout. S’ils ont un souci, ils doivent se débrouiller par eux-mêmes. Mais j’ai adoré cet endroit, c’est très beau, les montagnes sont magnifiques. Sur plusieurs milliers de kilomètres, il y a des sommets que personne n’a jamais gravis. Peut-être qu’un jour je reviendrai !
« J’ai déjà repris l’entraînement ! »
A.N. – Et maintenant, repos ?
T.L. – Même pas ! Je m’entraîne pour un nouveau défi, sponsorisé par RedBull. Le 15 mars je m’envole pour Vienne. Objectif, rallier Nice en traversant les Alpes en ski. 2.000km, 85.000m de dénivelé. On prévoit de le faire en 35 jours. On sera une équipe de 7 !
(NDLR : Près de 50 sommets et cols seront gravis, pour renouveler un exploit qui date de 1971. Dans l’équipe, aux côtés de Tamara : le suisse Bernhard Hug, l’autrichien David Wallmann, l’américaine Janelle Smiley ou encore l’espagnole Nuria Picas, gagnante du dernier UTMB).
A.N. – Et avec Simone Moro ?
T.L. – Pour l’instant on n’a rien de prévu, là je me consacre au Vienne-Nice. Ensuite on verra. Mais on a déjà discuté de sommets en Amérique du Sud… on verra bien !
Crédits Photos : © Matteo Zanga / The North Face