Le sauvetage des derniers jours au Nanga Parbat a mis sous les projecteurs une discipline qui se fait discrète : l’alpinisme de haut niveau. Une discipline que les médias aiment à qualifier d’ « extrême » même s’ils n’en parlent que rarement. Le grand public ne découvre bien souvent ces exploits du bout du monde qu’à l’occasion de catastrophes.
Et pour cause, l’alpinisme n’est pas un bon client pour les journalistes. On ne comprend pas bien ce qu’ils y cherchent, et pour quelles raisons. On n’est pas bien capable de dire si l’un est meilleur que l’autre, si un sommet est plus difficile qu’un autre. S’ils sont inconscients ou artistes… Georges Mallory (alpiniste britannique du début du XXe siècle) n’aide pas à mieux comprendre l’affaire : « Pourquoi grimper les montagnes ? parce qu’elles sont là ! ».
Ces « Conquérants de l’Inutile », comme se présentait Lionel Terray, intriguent.
Les femmes et les hommes qui se lancent dans de telles aventures, ne le font pas pour une quelconque gloire. Ils ne cherchent pas à impressionner, à être reconnus dans la rue. Ils cherchent avant tout à mieux se connaître eux-mêmes. A atteindre leurs limites, à mieux se comprendre. Pour y arriver, ils prennent des risques. Mais ce ne sont pas des fous, des êtres irraisonnés qui n’ont peur de rien. Ces risques sont calculés, mesurés, pesés. Si la balance penche trop dans la mauvaise direction, ils renoncent. Ils font demi-tour, machine arrière. Et ils réessaieront une prochaine fois. Tous les alpinistes, petits ou grands, se sont inclinés face à la puissance de la montagne. Une météo incertaine, trop de neige instable, un vent trop puissant, un coup de fatigue…
Dans l’Euphorie des Cimes, Anne-Laure Boch – médecin, docteur en philosophie et alpiniste amateur – expliquait : « l’alpinisme n’est donc pas un vain effort. Au contraire, il porte en lui-même son sens et sa récompense. (…) Déplacer, un tant soi peu, ses limites physiques et morales est une source de joie profonde, où la sensation d’accomplissement voisine avec une impression de plénitude et d’harmonie. »
La « course en montagne », une course qui porte mal son nom
Cette discipline n’est pas chronométrée. On n’y fait pas la course. Si l’alpiniste regarde sa montre, c’est pour savoir s’il devra bivouaquer dans la voie, accélérer pour éviter l’orage ou sera rentré à temps au refuge pour un bon repas chaud. Un sport sans perdant ni vainqueur. Voilà qui n’est pas banal. L’alpiniste veut parfois être le premier à arriver sur un sommet, à emprunter une voie… non pas pour gagner face aux autres mais pour savourer le privilège d’emprunter un itinéraire vierge, que seule la nature a jusque-là parcouru. Arrivé au sommet, il pourra profiter pendant quelques longues minutes de la splendeur d’un paysage, de la satisfaction d’avoir surmonté une difficulté qu’il croyait indomptable. Ou tout simplement, comme le disait Lionel Terray : « la satisfaction animale de sentir que je viens de sauver ma peau ».
En quittant le Pakistan il y a quelques heures, Elisabeth Revol l’avouait : elle compte bien revenir. Grimper à nouveau. Car même lorsque des moments tragiques viennent ponctuer ces aventures en haute altitude, cet univers agit sur les alpinistes comme une drogue dure. Difficile de se désaccoutumer.