L’été dernier, Fleur Fouque a reçu son diplôme de guide de haute montagne. Elle fait partie de la dernière promotion de l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme de Chamonix. Promotion remarquée pour sa proportion inédite de femmes : six nouvelles diplômées qui portent à 33 leur nombre dans la grande famille des guides. Un record historique. Si l’on peut se réjouir de voir des barrières tomber et la profession de guide se féminiser, nous avons voulu parler d’autre chose avec Fleur. Car si l’on peut s’accorder sur le principe qu’il est normal de voir des femmes faire ce métier, ce qui demeure extraordinaire : c’est le métier de guide lui-même.
Rencontre avec Fleur et son histoire.
Altitude News – Qui êtes-vous Fleur ? D’où venez-vous ?
Fleur Fouque – Je suis née dans un milieu montagnard. Mon père était guide de haute montagne et pilote d’hélicoptère et ma mère accompagnatrice en moyenne montagne et monitrice de ski. Nous étions tout le temps dehors : ski, vtt, randonnée, escalade… Néanmoins je ne me rappelle pas que le métier de guide m’ait attiré dans l’enfance. A cette époque, je faisais du patinage artistique et voulais passer la plupart de mon temps sur la glace. Mes parents m’ont transmis le goût de la nature – même si je détestais marcher – mais ne m’ont jamais poussé à faire de la montagne.
« J’adorais l’idée d’arriver en haut de quelque chose. »
A.N. – Un jour pourtant, vous avez laissé tomber le patinage…
F.F. – Tout a commencé à l’adolescence, j’ai arrêté le patinage artistique à 15 ans et me suis mise plus sérieusement à l’escalade. J’ai commencé alors à faire des grandes voies avec des ami(e)s. On préparait nos sorties du week-end. C’est peut être le déclenchement. J’adorais l’idée d’arriver en haut de quelque chose. Ce n’étaient que des petites courses, donc bien souvent on n’arrivait pas en haut d’un sommet mais il y avait l’aspect de gravir plusieurs longueurs… d’ascension. Mon père a alors pris cela très à cœur : il nous conseillait, faisait attention à ce que l’on fasse les choses correctement.
A.N. – Et à Chamonix, de l’escalade à la haute-montagne, il n’y a qu’un pas…
F.F. – J’étais à cette époque au club d’escalade de Chamonix, ils organisaient une semaine de haute montagne par an. Nous faisions surtout du rocher. C’était mes premiers pas en haute montagne : j’avais des chaussures en coque plastique qui pesaient une tonne… je trouvais les marches d’approche fatigantes… On a fait la voie Contamine Vaucher au Peigne (NDLR : cotée TD – Très Difficile), nous étions 2 avec un guide. Bien sûr, je ne grimpais pas encore en tête en terrain d’aventure. Je me souviens encore avoir trouvé ça dur : la marche, l’escalade en fissure avec un sac à dos… Je trouvais ça inimaginable d’être guide… Même si l’idée commençait à germer tout au fond de ma tête je crois. C’était le premier stage que j’effectuais. L’année suivante, je suis arrivée beaucoup plus préparée.
A.N. – Des rencontres ont accéléré les choses…
F.F. – A 18 ans, j’ai rencontré un petit ami qui passait le probatoire du guide. Il m’a alors emmenée dans toutes ses courses de préparation. Cela a été un peu une révélation. Je me sentais bien en montagne, j’étais dans mon élément. Je ne pensais qu’à la prochaine course que nous allions faire.
La même année, la FFME (NDLR : Fédération Française de Montagne et d’Escalade) créait la première équipe nationale fille. J’ai été prise suite à différentes sélections. C’était 2 années de formation avec des stages dans toutes les disciplines : escalade, glace, mixte… Nous avons finis le cursus par une expédition au Pakistan en 2008. C’était ma première. Ce fut un moment important dans ma vie d’alpiniste. J’ai pris vraiment confiance en moi. J’ai rencontré plusieurs amies de cordées dont Karine Ruby qui fut ma partenaire en montagne les années qui suivirent. Avant, j’étais plus un bon second de cordée. A partir de là, j’ai appris à être beaucoup plus autonome. Je suis devenue « leader » vraiment à ce moment là.
« J’étais plus passionnée par les ascensions que par mes études »
A.N. – Expliquez-moi comment vous vous êtes retrouvée instit et quel déclic a été nécessaire pour que vous changiez totalement de métier.
F.F. – J’ai passé les années suivantes à faire beaucoup de montagne, en France et à l’étranger. Parallèlement j’ai continué mes études. A cette époque, le métier de guide n’était pas une finalité. J’étais une amateur passionnée. Je savais aussi les difficultés du métier de part mon entourage : aléas climatiques, difficultés physiques, précarité…. Je me suis dirigée vers le métier de professeur des écoles car l’enseignement me plaisait et cela me laissait aussi le temps de profiter de la montagne.
Mais rétrospectivement, en y repensant, j’étais plus passionnée par les ascensions que je pouvais faire que par mes études. J’allais à la fac la semaine, je travaillais, à fond, ne sortais pas – j’ai été à 2 fêtes étudiantes en 5 ans – pour pouvoir profiter des temps libres à la montagne les week-ends… L’idée de devenir guide était dans un coin de ma tête. Je savais que j’avais le niveau. Je ne l’envisageais cependant pas comme une activité professionnelle mais comme un plus.
En 2009, mon amie Karine Ruby décède suite à une chute en crevasse. Ma passion et mon envie d’aller en montagne en ont pris un coup. Mais surtout j’ai laissé tomber l’idée de me présenter un jour à l’examen d’entrée au guide. Je me suis concentrée sur mes études et ai obtenu le diplôme de Professeur des Ecoles en 2010.
« Je trouve çà quand même dommage que t’ailles pas au guide »
A.N. – Vous auriez donc pu rester instit toute votre vie…
F.F. – Après 3 ans d’enseignement, le métier d’enseignante me plaisait vraiment mais il me manquait quelque chose. Pendant les vacances de Noël, je pars faire une randonnée à ski avec mon compagnon – ce n’est plus le même qu’à mes débuts… (rires) Il est guide. Et à la fin, l’air de rien, il me dit « Je trouve çà quand même dommage que t’ailles pas au guide ». Juste cela, rien de plus… Je n’en ai pas dormi… J’ai réfléchi pendant des jours et ai envoyé ma liste de courses. Heureusement, j’avais déjà réalisé toutes les courses demandées pour se présenter.
La clôture des dossiers d’inscriptions au probatoire étaient début janvier… J’ai obtenu l’examen probatoire en 2013, ai demandé une disponibilité de l’éducation nationale, je n’ai jamais repris mon métier d’enseignante….
A.N. – Et vous êtes diplômée guide depuis cet été !
F.F. – Oui et membre de la Compagnie des guides de Chamonix ! Pour l’instant, je n’envisage pas de reprendre mon premier métier !
A.N. – Fin 2015, vous participiez à l’ouverture d’une nouvelle voie à l’Ama Dablam, quel souvenir gardez-vous de cette ascension dans un environnement nouveau ?
F.F – L’ascension de l’Ama Dablam était une expédition intense. Tout s’est bien déroulé du début à la fin : l’équipe, la vie au Népal, la météo… Nous étions 4 (NDLR : avec Fanny Schmutz, Sébastien Rougegré et Damien Tomasi) et c’était notre première expédition de ce genre : en altitude, en style alpin. C’était quelque chose de nouveau.
J’ai été malade pendant l’acclimatation et ne suis pas partie pour l’ascension dans mon meilleur état. Du coup cela a été dur physiquement, surtout à cause de l’altitude. On s’est rendu compte que ce n’était pas anodin, que c’était dur. Cette expérience restera gravée dans chacun de nos esprits je crois : les bivouacs, la grandeur de la montagne, les sommets autour…
« L’effort est dur mais tellement gratifiant quand on y arrive »
A.N. – Avez-vous un attrait comme certains pour la très haute-altitude ? et d’autres projets en la matière ?
F.F. – J’aime les expéditions en altitude car il y a ce paramètre supplémentaire à prendre en compte : l’altitude, qu’il faut gérer du début à la fin. On procède différemment que dans les Alpes. Il faut être patient, s’avoir s’écouter. L’effort est dur mais tellement gratifiant quand on y arrive. J’ai aussi été malade et sait la difficulté que cela peut engendrer.
Je ne recherche pas forcément l’ivresse de la haute altitude. Des projets qui me permettent de découvrir de nouveaux endroits, de nouveaux pays ont tout autant leur importance. J’aime l’idée d’aventure dans tous les sens du terme. Je vais surement aller en Alaska ce printemps. Je n’y ai jamais été.
A.N. – Dans votre quotidien de guide, qu’est-ce qui vous rend heureuse ?
F.F. – Dans mon métier de guide, j’aime tout d’abord le côté relationnel qui me rapproche du métier d’enseignante. Nous avons une relation privilégiée avec nos clients. Il faut aimer les gens et la montagne pour être guide. J’aime aussi le fait de pouvoir varier les activités, les endroits. On a la chance d’avoir un métier qu’il est possible de pratiquer dans presque tous les pays du monde. Enfin, là où il y a des montagnes bien sûr… (rires) Je commence à voyager avec mes clients aussi. Cet hiver je pars au Japon et en Norvège. Pour moi, ce sont plein de projets qui sont différents et motivants.
C’est aussi un métier où il faut une grande patience, de l’empathie. Il y a beaucoup de facteurs à gérer : la fatigue physique et mentale, la gestion des risques, la gestion des clients, la dépendance aux conditions climatiques … Beaucoup d’aléas… Il y a trop d’enjeux pour pratiquer le métier de guide sans envie.
Crédits Photos : Fleur Fouque