Dans ce nouvel épisode de Bonheur et Dragon, nous allons parler d’un champignon aux propriétés fabuleuses, on le trouve dans les montagnes de l’Himalaya ! Mais aussi d’une tradition surprenante qui prend vie la nuit dans certaines régions du Bhoutan.
Attention. Ce podcast est issu d’une série que nous vous encourageons à découvrir dans l’ordre. Accédez aux épisodes précédents : Episode 1 | Episode 2 | Episode 3 | Episode 4 | Episode 5 | Episode 6 | Episode 7 | Episode 8 | Episode 9 | Episode 10 | Episode 11 | Episode 12 | Episode 13.
Drôle de chasse la nuit au Bhoutan
Il est une pratique, en recul mais toujours existante dans l’Est et le Centre du pays. Et elle fait souvent parler d’elle. Ici, on l’appelle Bomena. Une tradition qui permet aux hommes du Bhoutan de se faufiler à la nuit tombée dans la maison d’une femme. Jusque dans sa chambre et même dans son lit. Simplifiée comme çà, cette coutume a tout pour déplaire aux oreilles occidentales post-MeToo. A y regarder de plus près pourtant, on découvre que les femmes peuvent refuser l’entrée du garçon. Et que ce qui se passe dans la pénombre de la nuit est généralement la suite de premiers échanges de jour. Dans une société où les interactions homme-femme se font discrètes, c’est une pratique qui permet de se rapprocher.
La tradition veut que si l’homme est toujours là au matin, et que la famille le découvre, alors il épousera la femme et viendra s’installer dans sa maison. Mais derrière la version conte de fées, les cas d’abus, d’absence de consentements, de grossesses non désirées et d’hommes qui ne reviennent jamais sont légion. Au début des années 2000, alors que la langue dzongkha ne disposait pas du mot « viol », et que la prise en compte des discriminations faites aux femmes allait croissante, on a pu faire l’amalgame entre cette pratique ancestrale et ses pires excès. Souvent qualifiée de primitive par les citadins Bhoutanais, le Bomena disparait donc peu à peu. Les cas d’abus, d’absence de consentements, de grossesses non désirées et d’hommes qui ne reviennent jamais, eux, sont toujours là.
Les Tsangmos et les joutes poétiques
Parfois utilisé pour convaincre sa promise d’ouvrir sa porte, les Tsangmos sont des petits poèmes bhoutanais. Des quatrains intégrés dans des joutes poétiques que les jeunes, qui en connaissent des dizaines, peuvent faire durer des heures.
« Au sommet de trois collines
Un cerf monte et descend :
Il n'a pas mangé d'herbe en montant
Ni bu de l'eau en descendant. »
« Je serais plus heureux
Si le torrent ne descend pas
Car une fois en bas, il coule sous un pont
Et la tristesse m'envahit naturellement. »
La cueillette des cordyceps
Quand on s’éloigne des villages et que l’on grimpe vers les montagnes. On retrouve les nomades, éleveurs de yaks, au quotidien bousculé par le changement climatique. Pour les aider, le roi a eu une idée. La jeune Tshering nous résume : « étant données les difficultés que rencontraient les nomades avec leurs faibles revenus, Sa Majesté leur a accordé le droit de ramasser les cordyceps. Maintenant, c’est leur principale source de revenus. Je pense qu’on peut dire que les cordyceps et les produits laitiers rapportent autant ».
Le cordyceps. Une petite chenille qui vit sous terre pendant plusieurs années. Jusqu’au printemps où elle laisse se développer un drôle de champignon. En grandissant, il tue la chenille et pousse jusqu’à rejoindre la surface. On le trouve, en cherchant bien, entre 3.000 et 5.000 mètres d’altitude. Si c’est un champignon intéressant pour les nomades, c’est qu’il est très prisé dans la médecine traditionnelle chinoise. Elle lui trouve de nombreuses vertus, la plus connue et peut-être la moins démontrée étant sa propriété aphrodisiaque.
Reste qu’en Chine ou à Singapour, il se négocie à plusieurs dizaines de milliers de dollars le kilo. De quoi résoudre les problèmes de revenus des nomades mais aussi faire des envieux. Car tout le monde n’a pas le droit de récolter le cordyceps dans le pays. Et même sans permis et au péril d’affrontements avec la police, on vient de loin pour tenter de profiter de cette manne providentielle. Une manne qui n’est malheureusement pas infinie. Le nombre croissant de récoltants pourrait accélérer la disparition du champignon.
Des crachats rougeoyants ?
Cette histoire de champignon met en lumière certaines inégalités de la société bhoutanaise. Si les nomades enrichis grâce aux cordyceps font des envieux, les propriétaires de belles maisons ou de beaux immeubles en font rêver plus d’un. Il n’est pas rare de trouver les façades les plus récentes recouvertes de drôles de traces rougeâtres. Il s’agit en fait de crachats de doma, une mixture faite notamment de noix d’arec et de citron vert. On lui prête des effets addictif et stimulant proches de ceux de la nicotine, elle est omniprésente dans la bouche des Bhoutanais. Cracher sur le mur d’autrui n’est pas lui faire offense. Il s’agit plutôt de se porter chance pour que dans une vie future, on soit enfin propriétaire d’un mur sur lequel les autres viendront cracher. L’enjeu est donc de taille. Les panneaux « crachats interdits » sont partout, avec une efficacité très relative.
CREDITS. Images d’illustrations, Interviews, enregistrements au Bhoutan © Altitude. | Bruitages additionnels et musiques d’illustration © Pixabay. | Headphone © Flat Icon / Freepik | Traductions et doublages assurés par Clémence Bout et Albin Digue du Master Rédacteur Traducteur de l’Université de Bretagne Occidentale. Récitation poésies : Zoé. | Ecriture et voix-off : Arnaud Palancade. | Sources complémentaires : Extrait radiophonique Noobaishey | Interview Denkars Getaway, 2022. | Bomena, a misunderstood culture, Dorji Penjore, 2021. | The hunt gone wrong, Ravinder Bawa, 2012. | Nu 2.8 M for a kg of cordyceps, Kuensel, 2022. | Bhutan’s cordyceps collectors eye return to yak herding, The Third Pole, 2017. | Mountain pastoralism in transition: Consequences of legalizing Cordyceps collection on yak farming practices in Bhutan, Pastoralism Journal, 2015. | Tsangmos, a poetic genre, Mandala. | Doma Pani, a stimulating experience, Mandala. | Smearing tsuney (lime) and spitting doma to be penalized, Kuensel, 2015.