Ils sont guides de haute montagne, universitaires, associatifs investis dans les territoires de montagnes (auteurs et signataires) et refusent d’entendre « chez les montagnards une montée des discours intolérants, libéraux et d’extrême droite ». Dans un contexte d’urgence climatique, ils questionnent le système économique actuel et veulent penser la montagne différemment. Voici la tribune que ces montagnards publient. Pour signer la tribune, c’est ici.
« Les effets du changement climatique sont deux fois plus rapides en montagne qu’ailleurs : c’est depuis longtemps un fait scientifique attesté, et non une idée à discuter. Les écroulements rocheux, la fonte des glaciers, l’amenuisement des quantités de neige et d’eau disponibles ainsi que tous les autres processus relatifs aux évolutions climatiques sont autant de marqueurs qui rendent visible et manifeste le changement global.
Alors qu’en France, nous venons de vivre un printemps froid et pluvieux, les records de température s’enchaînent partout dans le monde et les températures des océans battent record sur record. La biodiversité décline et se fait détruire partout. Cependant, tous ces phénomènes, toutes ces évolutions dues aux forçages anthropiques, quasiment personne ne semble les éprouver dans son quotidien, comme si la violence du choc environnemental était encore insuffisante pour être ressentie par tout un chacun.
Si nous autres montagnard·es, nous ne nous indignons pas de ces changements et de la réalité de leurs origines, nous qui avons été parmi les premiers à les constater avec le retrait glaciaire, qui le fera à notre place ? Celles et ceux dans le monde pour qui l’objectif quotidien est simplement de survivre ? Celles et ceux qui n’ont pas conscience de ces changements car ils ne les perçoivent pas dans leur corps et dans leur environnement immédiat, si ce n’est durant une canicule estivale ? Les adeptes des profits et de l’économie capitaliste et libérale pour qui les sociétés doivent continuer vers toujours plus de croissance, de profit et de libéralisme ? Celles et ceux qui privilégient leur mandat au climat ? Ou encore ceux qui estiment que « penser aux générations futures » reste un simple slogan marketing ?
Ne nous mentons pas, les bouleversements majeurs que connaissent les milieux de haute montagne affecteront le reste des milieux naturels de manière beaucoup plus visible qu’aujourd’hui. Toute la société et tous les territoires pâtiront de ces changements, et de manière bien plus brutale qu’aujourd’hui. La cause de ces problèmes, n’en déplaise aux climatosceptiques, nous la connaissons : un système économique fondé sur la croissance doublé d’un système social de domination de plus en plus autoritaire et nourri d’individualisme !
Si nous souhaitons lutter contre ces changements afin de continuer à pouvoir vivre ensemble en montagne en harmonie, nous devons lutter contre les caractéristiques délétères des sociétés libérales et capitalistes dans lesquelles nous sommes engagés. Réduire l’obsession des profits et revenir à des modes de vie plus simples. Il s’agit là de modes de vie composés, mettant l’habitabilité à long terme des zones de montagne au centre de nos projets de société. Cette habitabilité passe par une réflexion sur les stratégies de développement territorial à mettre en place collectivement, en dépassant les logiques de croissance financière associées à une spécialisation des filières et des espaces. Elle passe également par un lien fort et une osmose entre les activités qui doivent être recréées ainsi qu’entre les différents projets territoriaux. Ce ne sont qu’à ces conditions que nous pourrons bâtir des projets de société inclusifs, respectueux des habitant·es humain·es et non-humains et soutenables écologiquement.
Mais au lieu de nous affairer à créer des projets de sociétés désirables et à opérer de véritables changements systémiques, nous continuons à critiquer le voisin qui a pris l’avion une fois. Tout en se gavant pendant la saison hivernale ou estivale au profit d’agences et d’acteurs du marché touristique qui détournent les règles de la fiscalité. Nous crions au scandale sur les réseaux sociaux pour un oui pour un non et nous continuons à encenser des athlètes financés par des multinationales aux vocations très douteuses. Nous détruisons le petit artisanat de montagne, nous ne nous asseyons pas autour de la table pour échanger l’avenir à 10 ans, 20 ans, 30 ans. Nous nous en foutons du monde politique, puisque : « c’est tous des pourris ». Nous râlons après des impôts trop importants quand nous gagnons des sommes faramineuses à l’échelle d’une saison d’hiver. Partout autour de nous, nous entendons chez les montagnards une montée des discours intolérants, libéraux et d’extrême droite. Cette montée en puissance de positions nationalistes, égoïstes et racistes, que l’on constate en montagne comme dans le reste de la société, nous inquiète autant qu’elle nous attriste.
Rappelons simplement que les montagnes n’ont jamais séparé les hommes. Elles n’ont jamais été des barrières, encore moins des frontières. Elles sont des terres de passage, de circulation, d’échanges, un trait d’union entre les régions situées de part et d’autre, et ceci depuis des millénaires. Les vallées qui les traversent ont guidé et accueilli bergers, artisans, marchands, colporteurs, mais aussi des migrants cherchant refuge. Ce furent des Italiens fuyant les chemises noires de Mussolini, peut-être nos grands-parents ou arrière-grands-parents, ou plus récemment des exilés fuyant les conflits au Proche-Orient. Ces métissages, dont témoignent patronymes, art, architecture, dialectes, ont construit l’ADN des Alpes telles que nous les vivons aujourd’hui. Adhérer aux discours d’intolérance serait dès lors une insulte à cette histoire, une méprise vis-à-vis de ce que sont les territoires de montagne.
Aujourd’hui, nous sommes conjointement face à une crise politique, sociale et environnementale. Pourquoi nous autres montagnard·es, qui constatons tous les jours les changements environnementaux en cours, ne faisons pas le lien entre les politiques à l’œuvre depuis des années et ces événements dramatiques ? Pourquoi ne comprenons-nous pas que donner le pouvoir à l’extrême droite ira à l’encontre de la préservation des milieux naturels ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de faire le lien entre la croyance dans les impératifs de croissance économiques, les modes de vie exubérants, le fantasme de repousser constamment les limites dans tous les domaines et les changements en cours ? Pourquoi nous autres montagnard·es, qui au sein de nos pratiques, prônons la solidarité, l’esprit de cordée, le respect du milieu, n’agissons-nous pas pour promouvoir ces valeurs à l’échelle de la société ? Pourquoi nous autres montagnard·es hédonistes et rêveurs ne sommes-nous pas capables de partager un avenir désirable en assumant aujourd’hui des choix politiques forts et engageants ? Pourquoi nous autres montagnard·es ne sommes-nous pas capables de regarder la montagne, non pas uniquement comme un terrain de jeu et de support de nos pratiques sportives basées sur la performance mais comme des lieux de vie pour les humains et les non-humains ? Et pourquoi semblons-nous si peu inquiets de la préservation des milieux et du respect des écosystèmes affectés par l’ensemble des projets écocides ?
Ces changements de société passent d’abord par le fait de soutenir des initiatives créatrices qui existent partout dans les territoires de montagne. Ils passent également par le fait de se réunir et échanger sur des avenirs désirables, ainsi que par des projets à porter à l’échelle locale, loin du discours sclérosant de la rentabilité économique. Et enfin ils passent par les urnes. Notre avenir, et la joie d’être ensemble en montagne, en dépendent.
Le 30 juin et le 7 juillet, ne vous trompez pas. L’extrême droite n’apportera aucune solution viable pour des montagnes habitables tout comme le courant politique à l’œuvre aujourd’hui. Sortons des logiques d’ultra profits basées sur un tourisme industriel, une agriculture intensive, à des fins privées et individualistes dans lesquelles nous avons inséré les sociétés montagnardes. Développons les communs, l’entraide non marchande, la solidarité à toutes les échelles et des sociétés où les humains et les non humains cohabitent. Ce discours de bon sens, décrédibilisé, malmené, critiqué de toute part depuis 30 ans par des adeptes du profit à outrance et de l’individualisme, nous ne devons pas en avoir honte. Nous devons le revendiquer, l’assumer, et le faire vivre. »
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