En 2023, le Parc National de la Vanoise fête ses 60 ans. De nombreuses manifestations sont organisées notamment cet été. Retour sur la création du premier Parc National Français et son histoire.
Le décret du 6 juillet 1963 marque la création de ce premier parc. Au-delà de la préservation de la nature, déjà bien engagée à cette époque dans nombre de réserves naturelles, il est question ici de « buts plus amples ». Comme l’écrit Pierre Préau dans la Revue de Géographie Alpine en 1964, il est aussi question de sauvegarder des « genres de vie traditionnels » en « symbiose avec » le « cadre naturel ». Et de poursuivre « une politique d’aménagement du territoire préservant les intérêts économiques et sociaux de la population ».
Dès le départ, le Parc National version française est loin de ses homologues nord-américains comme le Yellowstone (créé en 1872) qui ne s’est donné qu’un rôle de préservation de la nature, d’accueil du public et d’éducation. La Vanoise devra donc concilier des objectifs qui sont parfois très éloignés. Mais le parc ne s’est pas fait en un jour. Pour aboutir au décret de 1963, plus de 25 ans de réflexions et de tergiversations ont été nécessaires.
Création du Parc de la Vanoise : 25 ans de réflexions
On ne sait pas bien qui du Club Alpin Français, du Touring-Club de France ou des fédérations de chasseurs est à l’origine de l’idée. Mais le projet d’une réserve pour chamois et bouquetins est sur la table avant la seconde guerre mondiale. En 1937, l’ambition s’affine. Il s’agirait d’une réserve accolée au Grand Paradis, le parc italien créé en 1922. Une zone couvrant principalement des territoires aux confins de Maurienne et de Tarentaise. On peine à se mettre d’accord sur les délimitations d’une telle réserve quand l’heure est à la guerre.
Au lendemain du conflit mondial, un grand connaisseur de la faune alpine reprend l’idée. Le docteur Marcel Couturier propose alors un périmètre plus important, à l’échelle d’espèces à protéger qui ne savent vivre sur un territoire si réduit. Le Massif de la Vanoise semble tout indiqué, toujours dans le prolongement du Grand Paradis. Les futurs contours du Parc se dessinent et avec : les futures oppositions des uns et des autres. En 1955, c’est le maire de Bonneval sur Arc qui reprend le flambeau. Gilbert André ajoute un volet humaniste à la seule protection de la nature. Il oppose les évolutions de la vie urbaine à ce qui pourrait naitre en montagne si on ne laissait pas mourir ses « vallées déshéritées ». Des communautés humaines relativement isolées du tumulte urbain, des enclaves naturelles dont le rôle éducatif et culturel serait central.
La création du Parc au début des années 1960
Ces différentes idées seront reprises par Denys Pradelle, urbaniste chargé par les autorités de ficeler ce projet de Parc. Ce dernier établit un certain nombre de principes. Il évoque notamment l’idée de réserves intégrales en cœur de parc, où l’intervention de l’homme serait proscrite. Dans le sillage de ces travaux, un projet de loi arrive à l’Assemblée en 1960, il vise à encadrer juridiquement la création de parcs nationaux. Dans la foulée, les enquêtes publiques apportent leur lot de protestations. On craint que les règlementations et interdictions ne viennent entraver l’activité pastorale ou plus encore certaines infrastructures touristiques, comme pistes de skis et remontées mécaniques.
Les chasseurs manifestent aussi leur mécontentement, voyant s’éloigner la possibilité de poursuivre leur pratique dans tout un massif. Le Conseil d’Etat vient confirmer le bien-fondé du projet même si les oppositions locales demeurent. Et le Parc nait officiellement en 1963. Joseph Fontanet en est le premier président. Maurice Bardel le dirige. Dans les premières années, le parc voit se télescoper ses différents objectifs. Comment préserver la nature et permettre le développement économique indispensable aux populations de montagne ?
Les premières difficultés
En 1969, un projet de station de ski veut s’implanter dans une zone protégée depuis peu par le Parc National de la Vanoise. Joseph Fontanet n’est plus président du parc, il est Président du Conseil Général de Savoie et ministre, proche de Pompidou. Et il ambitionne de faire de son département une terre de ski. Il parvient à obtenir l’autorisation de créer Val Thorens. Sur l’autre versant, le projet d’une seconde station, Val Chavière, est abandonné. Le parc résiste. Quelques décennies plus tard, l’extension de Val Thorens sera stoppée net par le gouvernement, dans un contexte où l’opinion publique s’intéresse de plus en plus aux questions de protection de l’environnement. Ce qu’on appelle encore aujourd’hui l’ « Affaire de la Vanoise » n’est pas un évènement anodin. Elle met en évidence les difficultés à concilier les différents objectifs du parc.
Parc de la Vanoise, je t’aime moi non plus
Rien d’étonnant à ce que la loi qui remet en question la gouvernance des parcs nationaux en 2006 bouleverse la Vanoise. Quand les communes sont invitées à adhérer à la nouvelle charte du parc, la plupart s’y opposent. Les récriminations sont connues. Yves Paccalet les résume alors dans l’Obs : « le Parc gêne nos projets de développement. Nous refusons une couche supplémentaire de règlements. Les Parigots n’ont pas à nous dicter leur loi. Notre économie, c’est le ski. Le Parc de la Vanoise, nous l’aimons à tel point que nous voulons l’étrangler… ». Et l’ambiance ne s’apaise pas quand des éleveurs séquestrent plusieurs dirigeants du parc pour obtenir des autorisations d’abattre des loups…
Exit la charte et tant pis si cette démarche a bien fonctionné dans d’autres parcs comme les Ecrins. La Vanoise tente donc un nouveau dialogue avec ses partenaires locaux. Une « convention d’actions partenariales » est désormais sur la table. Un document flexible et adapté à chaque commune qui fait la part belle aux initiatives locales. Les communes semblent plus enclines à le signer. Tignes et Méribel, opposants à la charte initiale, l’ont déjà fait.
Si sa gouvernance et son ancrage local suscitent encore des remous, le Parc National de la Vanoise est un succès sur plusieurs autres volets. Notamment en terme de conservation de la faune alpine. Les bouquetins en sont un bel exemple. Il n’en restait que quelques dizaines lors de la création du parc. Ils sont aujourd’hui 2.000 à 2.500 en Vanoise. Quant à son attractivité touristique, elle n’est plus à démontrer. Les quelques milliers de visiteurs espérés à la création ont fait place à plus d’un demi-million de touristes par an.
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