Cet article, paru initialement dans The Conversation, est écrit par Dirk S. Schmeller, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomique de Toulouse, évoque des recherches menées dans des lacs des Pyrénées françaises. Republié sous licence Creative Commons.
Comparées aux plaines envahies par les humains, les montagnes sont un paradis. Un havre pour de nombreux touristes, pour notre cher bétail et bien sûr aussi pour nos animaux sauvages. De l’air pur, de l’eau propre, des paysages verts, des reliefs impressionnants et beaucoup de calme.
Ce paradis s’est toutefois fissuré. Le changement climatique a un impact particulièrement important sur ces hauteurs (comme dans l’Arctique et l’Antarctique) et dégrade les forêts. L’augmentation de la température moyenne y est plus marquée qu’en plaine, tout comme les variations des précipitations – il y a parfois des sécheresses et parfois des inondations – ce qui contribue à la disparition de nos glaciers. De nouvelles études ont également montré que la pollution plastique avait atteint les montagnes que l’on pensait préservées.
Pourquoi tel lac est-il touché, et pas tel autre ? En 2014, nous avons réalisé une avancée importante après trois ans de travail d’équipe laborieux : nous avons pu démontrer que le zooplancton des lacs de montagne constitue une barrière biologique qui préserve l’habitat des amphibiens (étangs et lacs de montagne). Il les protège du dangereux champignon chytride Batrachochytrium dendrobatidis, à l’origine de la chytridiomycose.
Cependant, le zooplancton est très sensible aux changements environnementaux, en particulier dans les régions montagneuses, qui connaissent des conditions environnementales extrêmes et peuvent servir d’habitat à relativement peu d’espèces adaptées.
Au cours de nos recherches, nous avons également pu observer certains changements très frappants : disparition des amphibiens, croissance des algues, variations de plus en plus importantes du niveau de l’eau, etc.
Nous avons lancé en 2016 le projet financé par le Belmont-Forum intitulé « People, pollution and pathogens » (personnes, pollution et agents pathogènes). Objectif : regarder de plus près l’évolution des lacs de montagne. Outre l’étude de la dynamique du zooplancton, des bactéries et autres micro-organismes, il s’agissait également de mieux comprendre la pollution chimique de ces eaux.
Pour analyse la pollution chimique, nous avons placé des échantillonneurs passifs dans huit lacs de montagne des Pyrénées françaises situés entre 1714 et 2400 m d’altitude. Les échantillonneurs passifs, constitués de plaquettes de silicone, simulent des corps gras d’animaux vivants et ont pour fonction d’accumuler des substances lipophiles (qui aiment les graisses). La plupart des 1500 molécules chimiques de pesticides et autres substances organiques (qui comportent de nombreux atomes de carbone) actuellement en circulation en Europe et dans le monde sont précisément lipophiles.
Nous sommes rendus trois fois par an pendant trois ans (2016–2018) dans chacun de nos lacs pour y effectuer une analyse non seulement spatiale, mais aussi temporelle de la pollution. En laboratoire, il est actuellement possible de détecter 479 produits chimiques organiques, dont des polluants organiques persistants, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des pesticides anciens et actuels, des biocides et des parfums musqués.
Il était évident pour nous que nous allions trouver des substances chimiques dans nos lacs. Pourquoi seraient-ils épargnés alors que nous avons déjà pollué chimiquement des régions presque désertes de notre planète, comme l’Antarctique ? Cependant, nous avons été surpris par l’ampleur de cette pollution : nous avons découvert 141 molécules différentes dans nos huit lacs de montagne, dans les Pyrénées ariégeoises (deux lacs), le Néouvielle (trois lacs) et le Béarn (trois lacs).
Parmi elles, des fongicides, des herbicides, des insecticides, des pesticides difficilement dégradables, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des biphényles polychlorés et autres. Nous avons pu détecter entre 31 et 70 molécules différentes par lac. La plus grande diversité de molécules a été trouvée dans l’étang d’Ayes en Ariège.
Un cocktail chimique impressionnant dans les huit lacs dont découle une toxicité chronique pour les crustacés. Ces derniers sont une composante importante du zooplancton et leur abondance diminue à mesure que la toxicité augmente. Nos données montrent également une réduction de la diversité des rotifères, un deuxième groupe d’espèces constitutives du zooplancton, avec une toxicité croissante pour les algues.
Cette dernière provient principalement des herbicides détectés (par exemple, atrazine, terbuthylazine et autres). Nous supposons que certaines algues sont tuées par la pollution et que les rotifères spécialisés qui se nourrissent de ces algues disparaissent aussi localement. Il s’agit d’une hypothèse, qui doit être testée plus avant.
La pollution chimique des lacs de montagne entraîne une forte modification de la composition de la communauté zooplanctonique et donc du fonctionnement de ces écosystèmes. Cela pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les algues prolifèrent dans certains de nos lacs, car les crustacés, une fois disparus, ne peuvent plus contrôler la croissance des algues vertes.
Il pourrait en être de même pour d’autres agents pathogènes et donc présenter un risque de santé pour l’homme et le bétail de pâturage. Nos échantillons seront étudiés plus avant dans cette direction.
Reste la question de savoir comment cette pollution s’est produite. La grande diversité des molécules est très probablement liée au transport atmosphérique : les produits chimiques utilisés en plaine sont soulevés dans l’air par évaporation. Ces masses d’air sont ensuite poussées vers les montagnes, et les substances chimiques qu’elles contiennent s’y déversent sous forme de précipitations.
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Ces molécules se retrouvent alors dans les lacs de montagne et peuvent s’accumuler dans les organismes vivants, par exemple dans les poissons introduits, et bien sûr dans le zooplancton. La toxicité élevée de certains de nos lacs de montagne est principalement causée par deux molécules, le diazinon et la perméthrine, des insecticides très actifs. Le diazinon est utilisé pour lutter contre les blattes, les poissons d’argent, les fourmis et les puces dans les habitations.
La perméthrine se trouve dans les produits de lutte contre les insectes suceurs, comme les moustiques ou les tiques et est utilisée pour protéger les chiens et le bétail. On en trouve aussi dans les insecticides pour les humains. Cela signifie que ces deux molécules ont très probablement été introduites dans les lacs par des sources locales (comme le bétail, les touristes, les chiens), et ce en quantité haute en concentration, sinon nous aurions eu du mal à les détecter dans les centaines d’hectolitres d’eau présents dans ces lacs.
Un changement radical de mentalité est nécessaire : il faut cesser d’utiliser ces insecticides. Seuls les produits chimiques que nous n’utilisons pas n’auront aucune influence sur notre environnement. L’autonettoyage des lacs, qui est possible grâce à des processus biologiques et par la dilution, ne peut avoir lieu que si aucun nouveau polluant n’est introduit dans l’écosystème. Il existe déjà des alternatives végétales aux insecticides, comme du spray aux huiles végétales, ou des répulsifs comme la citronnelle.
Mais la question se pose également de savoir qui est responsable de la pollution et de la dégradation des lacs de montagne : les fabricants de ces produits ou les utilisateurs ? Les décideurs sont interpellés.
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Axa Research Fund a soutenu près de 650 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 55 pays. Pour en savoir plus, consultez le site du Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AxaResearchFund. Dirk S. Schmeller, Professor for Conservation Biology, Axa Chair for Functional Mountain Ecology at the École Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse, Université de Toulouse III – Paul Sabatier. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Illustrations © Pixabay