A l’occasion des 50 ans du tourisme au Ladakh, le constat est préoccupant. Le développement frénétique de ces dernières années a déclenché une prise de conscience locale. Mais à Delhi, on voit les choses autrement.
En 1974, le Ladakh accueille ses premiers touristes. Pendant plusieurs décennies, les volumes de visiteurs sont réduits. Principalement des Occidentaux venus dans cette région de l’Himalaya pour son offre de tourisme d’aventure. Les premiers circuits de trekking permettent alors de découvrir une région à la culture traditionnelle préservée, fortement influencée par sa large population d’origine tibétaine. Jusque-là, faibles volumes obligent, le tourisme au Ladakh n’a pas encore trop d’impacts négatifs.
Un film et tout bascule
Et puis dans le courant des années 2000, la donne change. Dans un pays de plus d’1 milliard d’habitants, il ne faut pas grand-chose pour bouleverser une région entière. Fin 2009, Bollywood connait un grand succès avec « 3 Idiots ». La superstar indienne Aamir Khan est à l’affiche et la scène finale se déroule… au Ladakh ! Montrant à l’Inde tout entière les beautés méconnues d’un recoin du pays. En quelques mois le nombre de visiteurs domestiques grimpe en flèche. Une envolée accélérée par le développement express de la classe moyenne indienne.
Au départ, les professionnels du tourisme se réjouissent. Cette augmentation coïncidant avec les années de crise économique en Occident et un net recul du nombre de visiteurs internationaux. Mais très vite, les volumes deviennent difficiles à gérer. Environ 70.000 visiteurs par an avant le film, 180.000 les mois qui suivent. Avec le développement des réseaux sociaux et les paysages photogéniques du Ladakh, l’augmentation continue année après année. L’an dernier, environ 530.000 touristes ont visité cette région de l’Himalaya indien. En très grande majorité des visiteurs domestiques.
Les impacts catastrophiques ne tardent pas
Les Ladakhis n’ont pas tardé à voir certaines conséquences notamment sur leur fragile environnement. Dégradation de la faune et la flore, problème de gestion de déchets, pollution des cours d’eau, embouteillages dans le centre-ville de Leh, constructions non régulées. Sans oublier la lente dilution de la culture Ladakhi dans un style de vie indien et standardisé, à grand renfort de junkfood occidentale.
Petit à petit, les locaux ont commencé à réagir. Comme sur les pentes du Stok Kangri. Cette montagne de 6.153 mètres d’altitude attirait un nombre croissant de tour-operators. Ascension ou pas, les touristes venaient en nombre au camp de base. Et les professionnels du tourisme ne prêtaient guère attention à leur impact sur les ressources locales. Après des années à polluer les lieux, les déchets ont fini par contaminer les cours d’eau. Pourtant principale source pour la boisson et l’agriculture pour les villages en aval. Les habitants prirent alors la décision de bloquer l’accès au Stok Kangri et de bannir les touristes.
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L’approche de plus en plus durable des Ladakhis
Désormais, des règles sont imposées aux visiteurs, concernant la gestion des déchets. Les opérateurs touristiques doivent aussi respecter certaines contraintes, comme ne plus brûler la végétation locale pour la cuisine de leurs clients. A tous les niveaux de la société, les Ladakhis ont essayé de mettre en place des règles. Comme l’impossibilité de créer des hôtels de plus de 35 chambres, pour une meilleure répartition des revenus. Ou la création de prix de vente minimum sur les services touristiques pour permettre de vivre décemment de leur travail. Sans compter le développement de plusieurs restaurants de cuisine traditionnelle qui viennent désormais faire concurrence aux burgers, noodles et autres pizzas.
Tout n’est pas rose. L’eau est encore grandement polluée et surexploitée. Si bien qu’une bonne partie des habitants de Leh doivent compter sur leurs propres réserves d’eau. Et la gestion des déchets est encore balbutiante. Dans une région où quelques décennies en arrière, le concept même de déchet était méconnu. Tout était produit sur place, puis consommé ou composté. Puis les touristes et le plastique sont arrivés.
En contradiction avec les vues de New Delhi
Les Ladakhis voudraient pouvoir continuer de réguler leur tourisme et de le façonner de la manière la plus durable possible. Depuis 2019 pourtant, la région a perdu en autonomie et est désormais pilotée depuis New Delhi. L’approche des autorités n’est pas ici différente d’ailleurs, elles promeuvent un modèle de développement basé sur une croissance économique infinie. Quelques habitants tentent de faire entendre leur voix, comme Sonam Wangchuk qui multiplie les grèves de la faim et s’oppose au gouvernement sur les questions environnementales et d’autonomie des peuples du Ladakh à décider de leur avenir, notamment en matière de développement économique.
Pour l’heure, Delhi reste sur son approche. Sa « vision pour le tourisme du Ladakh » publiée en 2022 semble plutôt vouloir développer de nouvelles infrastructures notamment routières. De quoi amener des centaines de milliers de visiteurs supplémentaires dans une région qui peine à gérer les flux actuels de touristes. Delhi voudrait aussi changer l’aéroport de Leh en un aéroport international, avec une capacité de… 2 millions de passagers par an. Le Ladakh compte aujourd’hui seulement 300.000 habitants.
Illustration – paysage du Ladakh © Pixabay