Depuis 2016, la Chine construit des villages aux confins de son territoire, à proximité de la frontière avec le Bhoutan. Et souvent même au-delà. Une nouvelle étude montre l’ampleur de ce qui ressemble de facto à une annexion.
L’étude, publiée il y a quelques jours par Robert Barnett, décompte désormais 22 villages. Construites sur des territoires réputés appartenir au Bhoutan, ces implantations pourraient compter quelque 7.000 habitants. L’auteur explique que ces constructions correspondent à une annexion de facto de 825 kilomètres carrés de territoires par Pékin. De nouveaux espaces ont été défrichés pour des constructions futures. Les autorités chinoises ont annoncé la création d’un nouveau village, et l’expansion de trois villages existants. Un territoire concerné qui représente 2% du Bhoutan. A l’échelle de la France, 2% du territoire équivalent à peu de chose près à la surface de l’Ile de France.
L’annexion Made in China
Au début des années 1990, ce n’était que des éleveurs nomades venus du Tibet qui fréquentaient les pâturages du Bhoutan. Peu à peu ils ont commencé à chasser les nomades bhoutanais en tentant de leur faire payer des taxes. Puis ils ont été encouragés à se sédentariser, dès le milieu des années 90. La région a ensuite accueilli ses premiers régiments de militaires. En 2004, des routes voient le jour pour relier ces territoires isolés au reste du Tibet. Avant que des constructions en dur permettre l’afflux de milliers de civils, dès 2016. En 2024, l’ampleur des constructions rend tout retour en arrière extrêmement hypothétique.
Un échange impossible
Ces implantations se situent à l’ouest et dans le nord du Bhoutan même si les officiels de Thimphou continuent de nier l’évidence, dans le but – peut-être – de préserver des relations déjà tendues et des négociations en cours avec le géant voisin. Si les villages de l’Ouest se situent dans une zone sensible en proximité avec des territoires stratégiques indiens, ceux du nord n’ont en apparence aucun intérêt pour Pékin. La Chine comptait cependant les utiliser comme monnaie d’échange pour pousser le Bhoutan à céder ses territoires occidentaux disputés. Impossible pour Thimphu, qui a scellé des accords avec New Delhi et ne peut prendre des décisions qui mettent en jeu la sécurité indienne. Cet état de fait n’est pas nouveau, on vous en parle depuis plusieurs années.
Les constructions continuent
Ces derniers mois, les constructions ont continué et leur multiplication rend désormais très improbable la validité d’un échange de territoire avec Pékin. Le Bhoutan ne devrait donc jamais retrouver ces territoires conquis par la Chine. Dans une certaine forme d’indifférence généralisée, on voit donc un puissant pays modifier à sa guise les frontières avec son petit voisin. Les nouvelles cartes chinoises ont d’ailleurs déplacé la frontière pour intégrer au territoire chinois les villages construits. Quelques dizaines d’années en arrière, les cartes officielles chinoises montraient un tout autre tracé de la frontière.
« Personne ne voudrait normalement s’installer » dans la région
Mais pourquoi aller vivre dans ces villages perdus au fin fond de l’Himalaya ? D’autant que la nature y est hostile, pour certains à plus de 4.200m d’altitude. Les 7.000 Chinois qui ont accepté cette « nouvelle vie » ont été largement tentés par le pont d’or proposé par les autorités. « Ce sont des lieux où personne ne voudrait normalement s’installer » explique Barnett, « c’est soit trop haut, soit très exposé aux éléments ». Dans le petit village de Jieluobu, les autorités chinoises ont donc construit des maisons individuelles à étages avec jardin, mises à disposition de qui veut bien s’installer là. Avec en prime, une indemnité annuelle de 20.000 yuans par habitant. Soit environ 2.600 Euros par an, non négligeable dans cette région reculée. Les habitants viennent souvent des grandes villes du Tibet, parfois à 7 heures de route de là. Et les villages s’équipent. Une école maternelle et un hôpital pourraient bientôt voir le jour à Demalong, un autre site concerné.
Officiellement pour Pékin comme pour Thimphou tout va bien, « les deux parties cherchent activement un accord de démarcation des frontières qui soit acceptable pour les deux parties ». Des échanges qui durent depuis plusieurs années, sans résultat apparent. Sur le terrain, la réalité est tout autre et l’approche agressive de Pékin en matière de gestion de ses frontières a de quoi inquiéter. L’auteur explique la portée symbolique de telles annexions : tout semble suggérer que « l’usage par une puissance majeure (…) de la construction transfrontalière en tant qu’instrument de négociation musclée » vis-à-vis d’un petit voisin « est particulièrement efficace ». Et d’ajouter : « il semble probable qu’à l’avenir, les petits états voisins de grandes puissances continueront à se trouver de plus en plus vulnérables à cette stratégie ».
Illustration © Pixabay