Parmi les expéditions himalayennes de cet automne, la face Nord du Tarke Khang en style alpin a attiré l’attention d’Altitude.News. C’est dans le massif des Annapurna que Simon Messner (le fils de Reinhold) et Philipp Pruenster ont voulu tenter leur chance. A mi-chemin entre le sommet de l’Annapurna (8.091m) et celui du Gangapurna (7.455m), ils ont ciblé le Tarke Kang, à 7.069m. Ils ont bien failli ne jamais revenir de cette fameuse face Nord. Interview de Simon Messner à leur retour et photos exclusives.
Interview
Altitude.News – A 28 et 29 ans, c’était votre première expé dans la région. Pourquoi vous être retrouvés dans cette voie ?
Simon Messner – Avec Philippe, on a pas mal grimpé ensemble, ouvert de nouvelles voies dans les Dolomites ou à Oman. On se connait vraiment bien et on savait qu’il y avait de quoi faire dans ce secteur. On avait envie de tracer une nouvelle voie en face Nord du Tarke Kang. Mais ça a été plus compliqué que prévu.
A.N. – Au total, 40 jours d’expédition au cœur du massif des Annapurna, comment ça s’est passé ?
S.M. – De Manang au camp de base (NDLR : à 5.000m), on avait quelques porteurs. On a ensuite installé le camp de base et la météo était clémente ; on a commencé à grimper pour s’acclimater deux jours plus tard. Et là, on a vu que les conditions de neige étaient atroces. La mousson n’était pas terminée, il y avait beaucoup trop de neige fraîche. Des avalanches un peu partout. C’était surtout hyper fatiguant de progresser dans la voie avec tant de neige. Il faisait trop chaud, les conditions n’étaient vraiment pas bonnes.
A.N. – Et c’est vers votre camp d’altitude que ça s’est compliqué ?
S.M. – Oui, on voulait installer notre camp vers 6.500 mètres pour être bien placés pour tenter le sommet. Mais en arrivant à vers 6.300m, le jour déclinait et une avalanche nous a embarqués. Par chance on a réussi à s’en sortir par nous-mêmes mais un mètre de plus et Philippe aurait été projeté au pied de la paroi. On a vraiment flippé, on a préféré rester sur place pour la nuit et attendre que ça se calme.
<< Je me souviens que j’ai essayé de nager… >>
A.N. – Comment s’est passé cette avalanche ?
S.M. – On savait qu’en cette période de mousson tardive, les risques étaient élevés. Mais on a décidé d’y aller. Si cette décision était la bonne ou pas, j’en sais rien. On a été pris dans la coulée alors qu’il faisait déjà sombre. Ça s’est passé tellement vite, le temps de comprendre on était déjà sous la neige. Il faut dire qu’à ce moment là, on marchait déjà dans un bon mètre de poudreuse. Je me souviens que j’ai essayé de nager et que Philippe essayait de rester en surface avec son piolet.
A.N. – Le lendemain, vous êtes redescendu ?
S.M. – On a laissé le camp en place et on a filé. C’était une journée blanche, pas de visibilité. Je n’avais jamais vu çà dans les Alpes. 100m après avoir laissé le camp, on ne savait plus où on était. On a mis toute la journée pour retrouver le camp de base. On n’avait aucune idée de là où on descendait, c’était super risqué. C’est sûr, on a eu la chance de ne pas être pris dans une nouvelle avalanche et de ne pas mettre le pied dans une crevasse. A la fin, on était tellement crevés qu’on n’arrivait pas à faire plus de 20 mètres sans s’arrêter pour se reposer.
<< Une avalanche avait tout balayé. J’avais plus le choix… >>
A.N. – et la situation ne s’est pas améliorée…
S.M. – Quand on est revenu au Camp de Base, il s’est mis à neiger pendant 70 heures. Sans arrêt. Le troisième jour, on a décidé de remonter et de tenter notre chance. Philipp a vite fait demi-tour, il se sentait pas bien. J’ai décidé de continuer seul. Avec la neige, j’ai mis beaucoup de temps à monter. Vers 11h, je suis arrivé au camp d’altitude et il n’y avait plus rien. J’ai passé deux heures à creuser pour trouver notre matos. Je n’ai rien trouvé. Une avalanche avait tout balayé. J’avais plus le choix, il fallait redescendre au Camp de Base avant la nuit.
A.N. – c’était terminé…
S.M. – C’était dur de le réaliser, mais sans notre matériel, sans bivouac, notre expédition était finie. C’est aussi çà la montagne, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. C’était notre première expérience en Himalaya. On a réalisé que les choses étaient très différentes ici. C’est clairement plus dangereux que de grimper dans les Alpes. Je ne sais pas si on reviendra un jour sur le Tarke Kang. Peut-être dans quelques années. D’ici là, on est de retour dans les Dolomites, on va essayer de profiter des derniers jours de beau temps !
Epilogue
Suite à cette expédition écourtée, Simon et Philipp ont voulu finir sur une note plus positive en s’essayant aux falaises autour du Tilicho Lake (à environ 5.000m). « Le rocher était fantastique », environ du 7a, difficile à protéger et « on avait même pas pris nos chaussons, alors grimper en baskets… ». Résultat : une chute de 18m pour Philipp. La dernière frayeur du voyage. Retour en Europe, avec plus de peur que de mal. « On a tous les deux eu beaucoup de chance, on le sait ! ».
Illustrations : (c) Simon Messner.