1755 dans les Alpes italiennes, l’avalanche de Bergemoletto. Sans doute une des histoires de survie en montagne les plus inimaginables. L’histoire de la famille Roccia.
Au matin du 19 mars 1755, Giuseppe Roccia n’a plus le choix. Il doit grimper sur le toit de la ferme familiale pour enlever de la neige. Depuis quatre jours, elle tombe abondamment sur ces alpages situés sur les hauteurs de la vallée de la Stura au pied du Mont Bourel. De mémoire d’hommes, on a rarement vu autant de neige accumulée. Plus bas, la pluie a causé des inondations dans tout le bassin de Turin. Giuseppe fait appel à son fils Giacomo pour lui filer un coup de main. Du haut de ses quinze ans, le fils apporte une aide précieuse. La toiture de la bâtisse est fragile. La famille Roccia – comme tout le monde dans le hameau de Bergemoletto – n’a jamais eu les moyens de bâtir plus solidement.
C’est l’heure de la messe…
Ils vont bientôt descendre du toit, même s’il reste beaucoup de travail. Car l’heure de la messe approche et toute la famille va rejoindre l’église voisine. Un bruit sourd se fait alors entendre. Le curé, voisin des Roccia, est le premier à réagir. Il hurle à Giuseppe de descendre du toit. Une avalanche s’est déclenchée plus haut, elle fonce sur le hameau. En réalité, ce sont trois coulées distinctes qui vont se rejoindre sur ces maisons. L’homme d’église s’abrite dans la maison, les femmes et les enfants de la famille Roccia trouvent refuge dans l’étable, abri le plus proche. Giuseppe et Giacomo courent à perdre haleine, trébuchant dans la neige et se relevant aussi sec pour tenter de sortir du tracé de l’avalanche. Quand ils arrivent en lieu sûr, ils peuvent enfin se retourner. C’est un spectacle de désolation. Une trentaine de maisons ont disparu sous plusieurs mètres de neige. Le hameau semble avoir disparu. 19 mars 1755 : une avalanche a rasé Bergemoletto.
Sortir les cadavres de sous les décombres
L’avalanche a été entendue dans toute la vallée, si bien que des hommes ne tardent pas à arriver de plusieurs villages pour prêter main forte aux survivants. Mais pour accéder aux maisons recouvertes, il faut creuser des heures durant. Le chantier est titanesque, la neige continuant à tomber drue. La poudreuse sitôt tombée durcit, créant une véritable chape de béton sur les maisons détruites. Pendant plusieurs semaines, les secours ne progressent pas. Les habitants pleurent des disparus et la plupart des corps restent introuvables, sous une épaisse couche de neige glacée. Ce n’est que le 18 avril que le redoux permet aux recherches d’atteindre les premières victimes. Un des premiers à être sorti des décombres est le curé. Deux grosses poutres ont eu raison du prêtre, pétrifié un chapelet à la main. D’autres victimes suivent à mesure que les volontaires déneigent les restes du hameau.
Le « miracle » du 25 avril
Le matin du 25 avril, le beau-frère de Giuseppe est là pour aider. La nuit précédente, il s’est réveillé en sueur. Dans ses rêves, sa sœur Anna Maria lui est apparue. La quarantenaire serait encore en vie sous les décombres. Personne ou presque n’y croit, mais les hommes creusent de plus belle. Ils parviennent finalement à libérer un petit espace pour se glisser jusqu’à la porte de l’étable. Antonio, le beau-frère de Giuseppe, réussit à s’y glisser. On entend alors des cris, des pleurs. Il y a trois femmes vivantes là-dessous. La rumeur se répand vite et des dizaines d’hommes rejoignent le tas de neige et aident à creuser. Deux chèvres sortent les premières. Les femmes ne sont pas capables de s’extraire de leur cachette par leurs propres moyens. Elles sont tirées de là par les hommes du village. Anna Maria est cadavérique, les deux autres sont en meilleure santé mais un médecin est appelé à leur chevet. Il met deux jours à rejoindre les trois rescapées.
Elles vont peu à peu se remettre et raconter leur histoire, leurs 37 jours, ensevelies sous des mètres de neige immaculée.
Une histoire de chance
La chance avait souri aux trois femmes car quand une partie du toit s’était abimée sur le sol, elles purent l’éviter. Et en se dirigeant à tâtons vers les animaux, elles trouvèrent un peu de chaleur. Un temps, elles crièrent à l’aide mais se résignèrent vite. Comprenant que personne ne pouvait les entendre. Un chaudron laissé là par hasard leur fut bien utile, il permit de faire fondre de la neige avec la chaleur de la pièce. De quoi boire quelques gouttes d’eau. Le petit réduit contenant des réserves de nourriture était impossible à ouvrir. A quelques mètres d’elles, il y avait des miches de pain, mais la porte restait désespérément close. Margherita, treize ans, trouva une dizaine de châtaignes dans ses poches. Elles se partagèrent ces quelques denrées pensant qu’elles n’avaient que quelques heures à tenir.
Elles patientaient dans le noir. Trois femmes et un jeune garçon. Les châtaignes suffirent à calmer la faim des plus jeunes jusqu’au deuxième jour. Dans le noir, elles trouvèrent le moyen de traire une des chèvres. La seule à avoir du lait. Ce lait de chèvre et la neige fondue constitua alors la seule nourriture des quatre prisonniers.
L’interminable attente
A la fin de la première semaine sous la neige, le petit garçon, 6 ans environ, commença à se plaindre de douleurs à l’estomac. Tonio s’affaiblit d’heure en heure et s’éteignit quelques jours plus tard. Les poules aussi cessèrent de faire du bruit. Leur seul repère temporel, elles gloussaient à heure fixe, disparut ainsi. Et impossible de les trouver pour les manger, le noir complet les garda cachées. Au manque de nourriture et à l’absence de lumière s’ajouta bientôt la fonte des neiges. D’abord quelques gouttes puis très vite l’étable fut inondée. La neige du toit fondait et percolait dans l’étable, sur les trois femmes qui tentaient de s’abriter comme elles le pouvaient. C’est donc dans des conditions psychologiques et d’hygiène terribles que les trois femmes furent retrouvées.
On cria au miracle. Les scientifiques du XVIIIème siècle ne comprirent pas comment elles avaient pu survivre si longtemps. Mais les faits étaient là : ces trois femmes, 13, 24 et 45 ans, avaient survécu à la désormais fameuse avalanche de 1755. Les détails de cette histoire proviennent de Venti Anni Fa, de Michele Lessona, ouvrage publié en 1884. Ils sont issus du principal compte-rendu de l’époque, signé d’un professeur de médecine de Turin, Ignazio Somis.
Illustrations © Pixabay