Au milieu du XIXème siècle, une expédition scientifique en Himalaya allait tourner au drame. Un de ses membres allait se retrouver décapité par un seigneur local. Voici l’expédition des frères Schlagintweit.
L’expédition des frères Schlagintweit, menée entre 1854 et 1857, est l’une des entreprises scientifiques les plus ambitieuses et méconnues du XIXᵉ siècle. Mandatés par la Compagnie britannique des Indes orientales, trois frères bavarois furent chargés de cartographier et d’étudier les régions inexplorées de l’Himalaya, du Tibet et de l’Asie centrale. Sur recommandation d’Alexander von Humboldt, Hermann, Adolf et Robert Schlagintweit partirent pour l’Asie. Leur mission visait à collecter des données sur le magnétisme terrestre, la géologie, la botanique et les cultures locales.
Partis de Calcutta, ils traversèrent des territoires tels que le Sikkim, le Ladakh, le Baltistan, les contreforts du Pamir. Atteignant des zones alors interdites aux Européens. Ils franchirent plusieurs cols à plus de 5.000m alors même qu’ils ne disposaient pas de cartes fiables. Leur approche scientifique les poussa à documenter plus de 750 sites. Ils recueillirent des milliers de spécimens naturels et à produire des cartes détaillées (comme l’illustration de cet article). Leurs observations sur les pratiques religieuses, l’architecture monastique et les langues locales enrichirent considérablement les connaissances occidentales sur ces régions.
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Cependant, l’expédition prit une tournure tragique en 1857 lorsque Adolf tenta seul une incursion vers le Turkestan oriental. Arrêté par Wali Khan à Kashgar, il fut accusé d’espionnage. Ce seigneur local, réputé pour sa cruauté, ne faillit pas à sa réputation. Il ordonna l’exécution d’Adolf Schlagintweit sans autre forme de procès.
Malgré cette perte, les deux autres frères poursuivirent leur travail. Ils publièrent une série d’ouvrages illustrés, dont Results of a Scientific Mission to India and High Asia. Dans ce livre très fourni, les auteurs prodiguent des conseils aux explorateurs désireux de parcourir ces régions du monde. Extrait du petit manuel du voyageur discret :
« Si l’on envisage de pénétrer dans des pays où il peut devenir soit souhaitable, soit même impératif de se déguiser, le voyageur doit prendre les plus grandes précautions pour garder tous les préparatifs d’une telle expédition strictement secrets ; car c’est là que réside sa principale chance de succès.
Afin d’éviter tout soupçon, il est fortement recommandé de commencer les préparatifs aussi loin que possible du pays que l’on souhaite visiter déguisé. L’une des plus grandes difficultés est de trouver un homme de confiance à qui confier l’exécution générale du voyage envisagé. Cette difficulté est d’autant plus grande que cet homme doit aussi être capable d’agir comme interprète.
Le salaire de ces personnes est élevé, et il est préférable de le rendre conditionnel au succès de la mission. Ces hommes rechignent généralement à fixer une somme précise, préférant se fier à la générosité de leur employeur. Il est certain que, s’ils remplissent correctement leur mission, ils méritent une haute récompense, car les risques personnels et les dangers qu’ils encourent dans ce type d’expédition sont très importants.
Il est conseillé de suivre scrupuleusement leurs suggestions concernant les bagages, les marchandises servant parfois de monnaie d’échange, et les provisions à acheter — même si certaines de leurs remarques peuvent sembler étranges ou discutables.
Il peut arriver que, une fois dans l’intérieur du pays, les circonstances rendent nécessaire d’abandonner le déguisement et de révéler ouvertement sa qualité d’Européen. Dans la plupart des cas, cela constitue une démarche risquée, qui ne doit être entreprise qu’après une mûre réflexion et avec le plein accord des guides. »
Leur héritage scientifique, bien que souvent éclipsé par d’autres explorations plus célèbres, a profondément influencé la cartographie et la compréhension de l’Asie centrale au XIXᵉ siècle.
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