Les hallucinations ou la psychose d’altitude. Les himalayistes connaissent bien ce phénomène pour l’avoir expérimenté ou lu et relu dans leurs ouvrages fétiches. Des chercheurs en médecine s’y intéressent, ouvrant de nouvelles perspectives pour la psychiatrie. Dans les expéditions commerciales, le phénomène semble bien plus marginal que dans la littérature.
La littérature de montagne regorge de références à des épisodes d’hallucinations à haute altitude. A des altitudes extrêmes, il semblerait que le manque d’oxygène puisse induire tout ou partie de ce phénomène. On entend des voix, on voit des choses qui ne sont pas réelles, on sent une présence. En 2018, en descendant du Nanga Parbat, Elisabeth Revol imagina par exemple qu’elle croisait des gens qui lui offraient une tasse de thé. Une étude scientifique de 2017 s’est intéressée à ce phénomène. Concluant qu’il pouvait être accompagné par d’autres symptômes du mal des montagnes, comme un début d’œdème cérébral. Elle explique que ces épisodes de « psychose » sont bien réversibles mais qu’ils sont associés à une élévation du risque d’accident. Ainsi Elisabeth Revol offrit une de ses chaussures à ces serveurs de thé hallucinés, exposant son pied à de sérieuses gelures.
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Une présence réconfortante, un troisième homme…
L’étude explique aussi que la perception par les alpinistes de ces hallucinations est généralement neutre (60%), parfois réconfortante (23%), voire effrayante (17%). Parmi les phénomènes fréquents : les hallucinations visuelles et acoustiques. Mais surtout le phénomène dit « de la troisième personne ». Quand on pense que quelqu’un nous accompagne. En 1933, Frank Smythe se souvenait avoir sorti de sa poche un biscuit pour se donner du courage, à plus de 8.000m sur l’Everest. Il se rappelait surtout l’avoir partagé avec son compagnon de cordée. Il était pourtant seul.
Ce phénomène aurait été observé par de nombreuses personnes ayant réchappé à des évènements traumatisants ou placées dans des situations très périlleuses. Himalayistes, explorateurs polaires mais aussi prisonniers de guerre ou astronautes… L’altitude n’est donc probablement pas le seul facteur à entrer en ligne de compte. En montagne, ces perturbations s’accompagnent souvent d’un discours désorganisé ou incompréhensible, et de troubles cognitifs. Le cerveau semble passer en pilote automatique.
Les similitudes avec la schizophrénie
Les scientifiques notent que cette psychose de haute altitude présente des traits similaires à la schizophrénie. Elle « pourrait potentiellement servir de modèle réversible de la maladie ; aidant ainsi à la recherche de concepts physiopathologiques ou de nouveaux traitements pour la schizophrénie et des troubles apparentés ».
Une autre étude publiée en 2021, menée par la même équipe italo-autrichienne, s’est installée au camp de base de l’Everest pour creuser ces sujets. Hélas, les occurrences de psychose d’altitude remarquables semblent plus fréquentes dans la littérature de montagne que dans la réalité. Elles se sont révélées rares parmi les participants aux expéditions commerciales faisant partie de l’étude. En revanche, des symptômes isolés ont été maintes fois relevés et les chercheurs font l’hypothèse que le contexte des expéditions commerciales réduit fortement le développement de cette psychose. Notamment en donnant un sentiment de sécurité aux participants, ou en empêchant la privation sociale (le camp de base est surpeuplé !).
Insécurité et solitude pouvant être des facteurs aggravant de cette psychose, les scientifiques font ainsi l’hypothèse qu’une même étude menée dans une région reculée avec des alpinistes grimpant en dehors de tout cadre commercial pourrait mettre en évidence une fréquence plus élevée de ces psychoses. D’autres études sont en cours pour mieux comprendre ce phénomène.
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