Dans Himalaya Business, François Carrel s’intéresse à une industrie qui a subi des changements majeurs ces dernières décennies. Bienvenue dans l’univers des expéditions commerciales en haute altitude.
Une photo de touristes des cimes en file indienne. Comme sur BFM TV quand on parle d’Everest, une fois par an au mois de mai. Un sous-titre accusateur et presque culpabilisant « qu’avons-nous fait des 8.000 ? ». La nouvelle parution des Editions Guérin s’intéresserait-elle à l’industrie des expéditions comme le ferait TF1 ou M6 ? La couverture est une fausse piste, le contenu est nettement plus nuancé. Le journaliste François Carrel ne fait pas qu’évoquer les pires travers de l’industrialisation du tourisme de haute altitude. Il en brosse un portrait subtil, décrypte ses mécanismes et enrichit son analyse de témoignages d’acteurs de terrain. Quand bien même nombre d’entre eux se veulent discrets sur leur activité, à l’image des frères Mingma et Dawa, aujourd’hui parmi les plus grands patrons du Népal.
Il raconte comment les Népalais ont peu à peu repris la main sur la manne touristique offerte par l’Himalaya. Une décolonisation à grands coups de politique commerciale agressive et de montée en puissance de nouveaux clients (Inde, Chine). Il évoque aussi la tendance actuelle, dans le sillage des « exploits » de Nims Dai, à la recherche de records (artificiels ?) qui intéressent « toujours le Guinness Book, les réseaux sociaux et les médias généralistes ».
Les travers de l’industrialisation des expéditions
Les dérives sont évoquées. De la gestion des déchets à la disparition de toute forme d’humanité chez les plus illuminés des summiters croisant leurs camarades agonisants. Sans compter le recours accru aux hélicoptères, qui non contents de bruler du kérozène, remplacent les porteurs et éleveurs de yaks dans la logistique des expéditions. La parole est aussi donnée à ceux qui regrettent cette industrialisation de l’Himalaya, et y voient une « dénaturation profonde de ce qu’est l’alpinisme ». Ceux qui ne jure que par la pureté du style. Et pour qui cette industrie de masse court à sa perte. Ceux pour qui gravir des montagnes ne peut ressembler à ce modèle où l’image et le chronomètre ont remplacé le romantisme de l’esprit pionnier.
Des questions universelles
Ce panorama sur l’univers des expéditions commerciales en haute altitude, sur le « huit-millisme », questionnera le lecteur. Notamment celui qui n’a jamais mis les pieds en Himalaya et pour qui la montagne la plus proche et ses canons à neige sont déjà synonymes de capitalisme, d’exploitation des ressources et de dérives. En matière d’industrialisation, nul besoin de regarder les entrepreneurs népalais pour avoir une idée des capacités humaines à transformer la montagne, pour le meilleur, comme pour le pire.
Du reste, c’est récemment dans les Alpes, à Chamonix, qu’on a pu croiser Nims Dai, venu faire la promotion de sa nouvelle ligne d’équipement. Il fréquentait ainsi un des sites touristiques les plus visités de France. L’Aiguille du Midi ou la Mer de Glace avalent quotidiennement des cars entiers de vacanciers venus du monde entier. S’il a levé la tête, il aura sans nul doute admiré les magnifiques sommets que contemplait Mummery au XIXème siècle. Il aura aussi vu passer des hélicoptères. Ceux qui vendent aux touristes une vue époustouflante sur la face nord des Grandes Jorasses pour 220 € la demi-heure. Certes l’industrie des expéditions commerciales comporte des spécificités. Mais nombre de questions soulevées par cet ouvrage raisonnent aussi dans nos montagnes occidentales.
Himalaya Business, Qu’avons-nous fait des 8.000 ? de François Carrel, aux Editions Guérin, 22 Euros. | Disponible dès le 16 mai 2024 en librairie et en commande en ligne.
Illustration © Editions Guérin