Le récit palpitant des aventures de Susie Rijnhart au Tibet est à découvrir parmi d’autres dans Une Histoire de l’Exploration, Neiges et Glaces, des Pôles à l’Himalaya. Un ouvrage de Stéphane Dugast, qui vient de paraitre chez Glénat.
Susanna « Susie » Carson Rijnhart n’est pas un personnage très connu. Pourtant son histoire vaut le détour. A la fin du 19ème siècle, elle quitte le Canada pour suivre son époux en Chine. C’est dans l’actuelle province du Qinghai qu’ils s’installent alors pour mener une vie de missionnaires. A proximité du Monastère de Kumbum, un des plus grands monastères tibétains. Deux décennies après le passage des Rijnhart, Alexandra David-Néel séjournera dans le secteur. Elle évoquera le « bruit des longues trompettes tibétaines appelant aux exercices religieux ». Les Rijnhart ne s’arrêtent pas là, ils comptent se rapprocher du Tibet et plus particulièrement de Lhassa, cette Cité interdite aux Occidentaux.
L’expédition des Rijnhart au Tibet
Au printemps 1898, le couple s’embarque dans un long voyage avec leur tout jeune enfant. Ils mettent le cap sur Lhassa. Avec des vivres pour 2 ans, ils se mettent en route. Mais leur trajet va tourner au cauchemar. Leurs « deux guides leur faussent compagnie », puis c’est leur bébé qui décède. Sans compter les bandits qui les attaquent et volent leurs chevaux et bien sûr le mari Rijnhart qui disparait. Susie parvient à se tirer d’affaire et regagne le Canada où elle raconte ses mésaventures dans un livre que David-Néel lira certainement. Susie reviendra s’installer au Sichuan avant de décéder en 1907 au Canada.
Un extrait de “With The Tibetans in Tent and Temple” de Susie Rinjhart
Dans son ouvrage, Susie Rijnhart raconte l’épisode tragique de la mort de son enfant pendant leur périple tibétain : « Bien que la voix de bébé ait été entendue quelques instants auparavant, M. Rijnhart affirma qu’il s’était endormi. Ainsi, comme d’habitude, Rahim mit pied à terre. Il le prit des bras de son père afin qu’il ne soit pas dérangé jusqu’à ce que la tente soit dressée et sa nourriture préparée. J’avais aussi mis pied à terre et étalé sur le sol la couverture et l’oreiller que je portais sur ma selle. Rahim allongea très tendrement notre charmant garçon. Et, tandis que je m’agenouillais pour le couvrir confortablement, son apparence attira mon attention. Je m’approchai et constatai qu’il était inconscient.
Une grande peur me glaça et je criai à M. Rijnhart que je me sentais anxieuse pour le bébé. Et lui demandai de me procurer rapidement la seringue hypodermique. (…) Je desserrai les vêtements de bébé, frottai ses poignets, pratiquai la respiration artificielle, tout en étant presque sûr que rien ne servirait, mais en priant Celui qui tient toute vie entre ses mains, de nous laisser notre enfant chéri. Ne savait-il pas à quel point nous l’aimions et était-il possible que la joie même de notre vie, la seule chose humaine qui rendait la vie et le travail doux au milieu de la désolation et de l’isolement du Tibet – serait-il possible que même cet enfant de notre amour devrait nous être arraché dans ce morne pays montagneux – par la main froide de la Mort ? A quoi ont servi nos efforts pour le ranimer ? A quoi ont servi nos interrogations ?
Le coup était déjà tombé ; et nous nous rendîmes compte que nous ne serrions dans nos bras que le coffret qui avait renfermé notre précieux bijou. Le joyau lui-même avait été pris pour un cadre plus lumineux dans un monde plus lumineux. La petite fleur qui s’épanouissait sur le sombre et aride Dang La avait été cueillie et transplantée sur les Montagnes Délectables pour se prélasser et fleurir pour toujours au soleil de l’amour de Dieu. Mais ô ! quel vide dans nos cœurs ! Combien vide et désolée notre tente, qui entre-temps avait été dressée !
Le pauvre Rahim, qui avait si tendrement aimé l’enfant, éclata en lamentations bruyantes. Gémissant comme seuls les Orientaux peuvent le faire, mais avec une douleur réelle, car sa vie était devenue si étroitement liée à celle de l’enfant. Et que dire du père, maintenant privé de son fils unique. Son enfant unique, qui, quelques instants auparavant, s’était serré contre sa poitrine, ne sachant pas à quel point le petit battement de cœur s’affaiblissait ? Nous avons essayé d’y penser par euphémisme. Nous avons élevé nos cœurs dans la prière. Et nous avons essayé d’être soumis. Mais tout était si réel – le seul fait nous a sauté aux yeux ; c’était écrit sur les rochers ; ça résonnait dans le silence de la montagne : le petit Charlie était mort. »
Une Histoire de l’Exploration, Neiges et Glaces, des Pôles à l’Himalaya, par Stéphane Dugast, Editions Glénat, 25,95 € | Chez votre libraire ou disponible en commande en ligne.
Illustration © Glenat