Son parcours, ses doutes, ses choix. Ses peines aussi quand plusieurs de ses proches disparaissent en montagne. Sa joie face aux dizaines de femmes qui suivent les stages du club alpin qu’elle a créé. Cette autobiographie de la montagnarde Marion Poitevin pourrait être un joli livre rouge comme les autres. Mais non.
En quelques années, elle a été tour à tour première femme secouriste CRS montagne, première femme à intégrer le Groupe Militaire de Haute Montagne, première femme formatrice à l’EMHM. Une collection de premières impressionnante. Mais bien tardives, quand on sait que la première femme guide de haute montagne a été diplômée en 1983, il y a presque 40 ans.
Une femme dans un univers d’hommes
L’univers des professionnels de la haute montagne est masculin, très masculin. Et pour s’y frayer un chemin, Marion Poitevin a dû batailler. « Petite (…) je pensais que je n’aurais pas à souffrir d’être née femme » concède-t-elle. Dans ce livre édité par la célèbre maison d’Editions de Chamonix, celle qui a publié tant de récits d’alpinistes hommes, elle raconte.
Les incompréhensions, les idées-reçues, les croyances, les blagues lourdes. Le lecteur essaiera de se convaincre que ce n’est pas si grave, qu’il suffit d’un petit effort pour faire fi des commentaires déplacés, mais elle continue. Avec des anecdotes qui nous démontrent que les différentes institutions qu’elle a traversées sont solidement ancrées dans un monde dominé par les hommes, et où les femmes n’ont pas droit aux mêmes places. « Il va falloir que tu enlèves ton insigne », celle qui montrait ses années d’expériences dans l’élite de l’alpinisme « ça fait bizarre sur toi », lui ordonne un lieutenant au prétexte que le « Général a trouvé ça étrange ». Ce dernier s’étonnait quelques heures plus tôt que des femmes puissent servir dans ce corps d’élite ailleurs qu’au secrétariat.
On a envie de croire qu’elle exagère, qu’elle grossit le trait. Mais on sait bien qu’elle ne raconte qu’une infime part de ce qu’elle a vécu. On comprend la solidité de ce « plafond de glace » (qui ailleurs serait de verre), ancré dans l’inconscient collectif, et qui empêchent les femmes de s’élever. Elle cite d’ailleurs les commentaires d’une gardienne de refuge qui s’étonne qu’un groupe puisse avancer sans homme pour le guider. Et comprend les propres barrières mentales avec lesquelles elle a grandi.
Marion Poitevin et son parcours exceptionnel
Pourtant, Marion Poitevin ne se pose pas en victime. Malgré les embûches, elle est fière de ce qu’elle a réalisé et travaille aujourd’hui pour une institution plus ouverte que celles qu’elle a pu trouver sur son chemin. Au sein des CRS montagne, elle n’est plus seule désormais. Elle compte plusieurs collègues femmes et on veut croire que cette tendance va se poursuivre. Marion Poitevin n’est pas née féministe, elle l’est devenue. En affrontant la dure réalité et en laissant derrière elle ses propres croyances. Peut-être « que le problème vient de moi » a-t-elle longtemps pensé. Et en agissant pour trouver des solutions au manque de mixité, comme en développant son club dédié à la formation en alpinisme de groupes féminins.
On aimerait terminer Briser le plafond de glace, paru ce mois-ci aux Editions Guérin, avec enthousiasme. Avec la conviction que nos filles et nos sœurs vivent désormais dans un monde plus équitable. On n’en sait rien, tant les agissements décrits par l’auteur semblent d’un autre âge mais se sont pourtant déroulés il y a quelques années seulement. En tous cas, si d’autres générations de femmes parviennent à briser ce plafond de glace, ce sera certainement grâce au courage et à la persévérance des quelques-unes qui sont passées par là les premières. Marion Poitevin est de celles-là.
Briser le plafond de glace, Marion Poitevin, Editions Guérin, 25 € | Disponible chez votre libraire ou en commande en ligne .
Illustration © Editions Guérin.