Après Mummery, Jules Verne, Saussure et St Exupery, nous continuons notre tour d’horizon des auteurs qui ont écrit sur la montagne ! Découvrons-la à travers les mots de Chateaubriand. Au début du XIXème siècle, François René de Chateaubriand visite le Massif du Mont-Blanc et nous livre ses observations. Extrait de Voyage au Mont Blanc, 1806.
Extrait
<< Parlons maintenant des montagnes en général. Il y a deux manières de les voir : avec les nuages, ou sans les nuages.
Avec les nuages, la scène est plus animée ; mais alors elle est obscure, et souvent d’une telle confusion, qu’on peut à peine y distinguer quelques traits.
Les nuages drapent les rochers de mille manières. J’ai vu au-dessus de Servoz un piton chauve et ridé qu’une nue traversait obliquement comme une toge ; on l’aurait pris pour la statue colossale d’un vieillard romain. Dans un autre endroit, on apercevait la pente défrichée de la montagne ; une barrière de nuages arrêtait la vue à la naissance de cette pente, et au-dessus de cette barrière s’élevaient de noires ramifications de rochers imitant des gueules de Chimère, des corps de Sphinx, des têtes d’Anubis, diverses formes des monstres et des dieux de l’Égypte.
Quand les nues sont chassées par le vent, les monts semblent fuir derrière ce rideau mobile : ils se cachent et se découvrent tour à tour ; tantôt un bouquet de verdure se montre subitement à l’ouverture d’un nuage, comme une île suspendue dans le ciel ; tantôt un rocher se dévoile avec lenteur, et perce peu à peu la vapeur profonde comme un fantôme. Le voyageur attristé n’entend que le bourdonnement du vent dans les pins, le bruit des torrents qui tombent dans les glaciers, par intervalle la chute de l’avalanche, et quelquefois le sifflement de la marmotte effrayée qui a vu l’épervier dans la nue.
Lorsque le ciel est sans nuages, et que l’amphithéâtre des monts se déploie tout entier à la vue, un seul accident mérite alors d’être observé : les sommets des montagnes, dans la haute région où ils se dressent, offrent une pureté de lignes, une netteté de plan et de profil que n’ont point les objets de la plaine. Ces cimes anguleuses, sous le dôme transparent du ciel, ressemblent à de superbes morceaux d’histoire naturelle, à de beaux arbres de coraux, à des girandoles de stalactite, renfermés sous un globe du cristal le plus pur.
Le montagnard cherche dans ses découpures élégantes l’image des objets qui lui sont familiers : de là ces roches nommées les Mulets, les Charmoz, ou les Chamois ; de là ces appellations empruntées de la religion, les sommets des Croix, le rocher du Reposoir, le glacier des Pèlerins ; dénominations naïves qui prouvent que, si l’homme est sans cesse occupé de l’idée de ses besoins, il aime à placer partout le souvenir de ses consolations.
Quant aux arbres des montagnes, je ne parlerai que du pin, du sapin et du mélèze, parce qu’ils font, pour ainsi dire, l’unique décoration des Alpes.
Le pin a quelque chose de monumental ; ses branches ont le port de la pyramide, et son tronc celui de la colonne. Il imite aussi la forme des rochers où il vit : souvent je l’ai confondu sur les redans et les corniches avancées des montagnes, avec des flèches et des aiguilles élancées ou échevelées comme lui.
Au revers du Col de Balme, à la descente du glacier de Trient, on rencontre un bois de pins, de sapins et de mélèzes : chaque arbre, dans cette famille de géants, compte plusieurs siècles. Cette tribu alpine a un roi que les guides ont soin de montrer aux voyageurs. C’est un sapin qui pourrait servir de mât au plus grand vaisseau. Le monarque seul est sans blessure, tandis que tout son peuple autour de lui est mutilé : un arbre a perdu sa tête, un autre ses bras ; celui-ci a le front sillonné par la foudre, celui-là le pied noirci par le feu des pâtres.
Je remarquai deux jumeaux sortis du même tronc, qui s’élançaient ensemble dans le ciel : ils étaient égaux en hauteur et en âge ; mais l’un était plein de vie, et l’autre était desséché. >>
COMMANDEZ : Voyage Au Mont-Blanc (Classic Reprint)