Extrait du chapitre « Aiguille Verte » de Mes escalades dans les Alpes et le Caucase, d’Albert Frederick Mummery paru en 1895 et traduit en français en 1903. Sept ans après la mort de l’auteur au Nanga Parbat. Dans cet extrait, il grimpe vers la première de la Verte par le versant Charpoua avec Alexandre Burgener, un guide venu du Valais. Ici le début de l’ascension.
Extrait
<< Comme nous passions assez tôt dans l’année 1881 le Col du Géant, Burgener et moi, il nous parut que l’Aiguille Verte pourrait être escaladée par sa face Sud-Ouest ; un couloir, une vraie route d’ascension, conduit de la tête du Glacier de la Charpoua droit en haut de l’arête Ouest de la montagne. Burgener fut tellement frappé de la possibilité de cette route qu’il ne pouvait guère croire qu’une voie aussi prometteuse n’eût pas été déjà prise par quelqu’un de ces hardis chercheurs de courses nouvelles. Ces craintes étaient, je l’en assurai, complètement sans fondement, et à notre arrivée à Chamonix elles furent finalement détruites.
Après une longue discussion nous décidons de partir à minuit du Montenvers : je n’avais pas encore, à cette époque déjà ancienne, compris la folie de passer les heures de nuit en pénibles culbutes dans les trous et les crevasses. Burgener, avec la sagesse de l’âge et une aptitude à dormir à poings fermés à des températures qui auraient toute la nuit fait danser une bourrée à son Monsieur, Burgener opinait en faveur d’un bivouac. Il se rendit pourtant au sage principe que « celui qui paye les violons a le droit de choisir l’air ».
Pendant l’après-midi du 29 juillet, je pars pour le Montenvers, et à 11h soir, la même nuit, nous prenons cordes et provisions et partons par le Passage des Ponts. Nous perdons pas mal de temps à cajoler notre lanterne qui se refuse à brûler proprement, et finalement nous allons nous empêtrer dans le réseau irritant des crevasses, qui découpe le bord oriental de la Mer de Glace. Nous montons alors au dessous du Glacier de la Charpoua à travers les mauvaises pierres de sa moraine latérale. (…) Après avoir atteint le Glacier de la Charpoua, nous attaquons la glace et discutons sérieusement notre plan, nous décidant finalement à examiner les mérites de notre couloir. Nous nous défendons l’un et l’autre de toute intention de l’ascensionner mais pourtant nous voulons le reconnaître suffisamment haut pour voir s’il est digne d’une seconde tentative. (…) Nous trouvons le glacier assez crevassé, et de nombreuses marches doivent être taillées ; pourtant à l’aurore nous atteignons la langue de rochers qui coupe le Glacier de la Charpoua en deux bras. Cette langue de roc est maintenant plus connue sous le nom de Gîte du Grand Dru, et (…) nous nous préparons à faire face à un sérieux travail.
Jusqu’à la première rimaye nous ne trouvons aucune difficulté, mais en atteignant cette grande crevasse, à 5h30 mat, elle nous apparaît comme devant barrer complètement tout progrès ultérieur. Elle coupe droit tout le glacier et les rochers de chaque côté paraissent tout à fait impraticables. Pourtant, en un endroit, la forte couverture des neiges d’hiver ne s’est pas effondrée tout à fait, mais elle s’est affaissée seulement d’une quinzaine de mètres, et là, protégée des rayons du soleil, elle ne s’est pas encore complètement ramollie. C’est une construction fragile, ponctuée en divers endroits de trous ronds d’où pendent de longs glaçons ; sur d’autres se trouve une mince couche de glace d’un demi-centimètre d’épaisseur. Quand on enfonce un piolet dans ces endroits faibles, il fait une ouverture sur des profondeurs terrifiantes. Nous nous apercevons bientôt que le seul point où il est possible de descendre sur ce pont est très à droite alors que le seul moyen d’escalader le mur opposé de la rimaye se trouve loin sur la gauche. En conséquence nous sommes forcés de passer sur cette fragile superstructure pendant une centaine de mètres, sinon plus. >>
Retrouvez la suite dans l’ouvrage de Mummery ou dans quelques semaines sur Altitude.News !
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