Si la voie normale (la plus facile et la plus pratiquée) au Mont-Blanc est désormais l’Aiguille du Goûter, ce n’est pas la voie empruntée par les premiers grimpeurs. Paccard et Balmat y préférèrent la voie dite « par la montagne de la côte ». Aujourd’hui cette voie, peu fréquentée, est appelée « voie des grands mulets » et passe par le refuge du même nom. Ce dernier n’existait évidemment pas à l’époque des premières ascensions. Il date de 1853. Voici un descriptif très intéressant par Horace Benedict de Saussure, de cette voie. Peut-être même le premier topo-guide de l’histoire de l’alpinisme en somme.
Extrait de Voyage dans les Alpes,
chapitre l’Ascension au Mont-Blanc.
<< Jacques Balmat fit dans le mois de juin deux tentatives inutiles ; cependant il m’écrivit qu’il ne doutait pas qu’on ne pût y parvenir dans les premiers jours de juillet. Je partis alors pour Chamouni. Je rencontrai à Sallenche le courageux Balmat qui venait de Genève m’annoncer ses beaux succès ; il était monté le 5 juillet à la cime de la montagne avec deux autres guides, Jean Michel Cachat et Alexis Tournier.
Il pleuvait quand j’arrivai à Chamouni, et le mauvais temps dura près de quatre semaines. Mais j’étais décidé à attendre jusqu’à la fin de la saison, plutôt que de manquer le moment favorable. Il vint enfin, ce moment si désiré, et je me mis en marche le 1er août, accompagné d’un domestique et de dix-huit guides, qui portaient mes instruments de physique et tout l’attirail dont j’avais besoin. Mon fils aîné désirait ardemment de m’accompagner ; mais je craignis qu’il ne fût ps encore assez robuste et assez exercé à des courses de ce genre. J’exigeai qu’il y renonçât. Il resta au Prieuré, où il fit avec beaucoup de soin, des observations correspondantes à celles que je faisais sur la cime.
Quoiqu’il y ait à peine deux lieues et un quart en ligne droite, du Prieuré de Chamouni à la cime du Mont-Blanc, cette course a toujours exigé au moins dix-huit heures de marche, parce qu’il y a de mauvais pas, des détours et environ dix-neuf cent vingt toises à monter.
En allant du Prieuré au Mont-Blanc par la montagne de la Côte, on commence par suivre le chemin qui conduit à Genève, jusqu’au village des Bossons, et l’on prend là le sentier qui va au glacier du même nom.
Mais au pied de la pente par où l’on monte à ce glacier, on tire à droite et l’on va passer au hameau du Mont. Un peu au-delà de ce hameau on commence à monter, en suivant les bords du torrent qui sort du glacier de Taconay. Cette montée est très sauvage, au fond d’un vallon étroit, dans lequel on a en face le glacier de Taconay, hérissé de glaçons, non pas blancs et purs, comme ceux des Bossons, mais salis par la boue noire, et entrecoupés de rochers de la même couleur ; mais en continuant à s’élever, on découvre au dessus de ce glacier les neiges pures et escarpées du dôme du Goûté.
(…)
On longe ensuite une arête tranchante, avec le précipice à droite, et des prairies très rapides à gauche ; apr_ès quoi l’on gravit ar une pente de cinquante degrés à une grotte ou petite caverne, où je couchai le 20 août 1786, lorsque immédiatement après le voyage du docteur Paccard j’essayai, en suivant ses traces, d’aller à la cime du Mont-Blanc.
(…)
Le col sur lequel on passe, est élevé d’environ six cents toises au dessus du Prieuré de Chamouni. On découvre de cette arête les deux glaciers que je viens de nommer et que l’on a sous ses pieds, toute la vallée de Chamouni jusqu’au col de Balme, et les deux chaînes qui bordent ce col : plus loin, l’on distingue les tours d’Aï et l’aiguille du Midi qui domine St-Maurice, de même que d’autres sommités plus éloignées. Mais le point de vue singulier, c’est celui que présente du côté du nord-ouest, l’arête même sur laquelle on se trouve, vue suivant sa longueur. De grands blocs de rochers à angles vifs, singulièrement et hardiment entassés, couronnent la cime de cette arête et offrent l’aspect le plus bizarre et le plus sauvage ; la belle et riante paroisse des Ouches semble partagée par ces rochers stériles et forme avec eux un étonnant contraste. >>