par Il y a plus d’un siècle, être femme et alpiniste n’allait pas de soi. Fanny Workman et Annie Peck en savaient quelque chose…
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, à une époque où rien ne prédestinait les femmes à gravir les sommets, Fanny et Annie ont exploré les montagnes du monde. A aucun moment elles n’ont fait équipe et incarnent deux parcours assez différents. Leur détermination à être là où on n’attendait pas les femmes de leur époque se dessine néanmoins comme un point commun. Découvrez les trajectoires singulières de Fanny Bullock Workman et Annie Smith Peck, deux montagnardes américaines.
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Produits de la société victorienne
Elles sont nées au milieu du XIXème siècle sur la Côte Est des Etats-Unis dans des familles bourgeoises blanches. Cinquante petits kilomètres séparent leurs enfances. Annie doit jouer des coudes pour se faire une place parmi trois frères qui brillent dans leurs études. Elle voudrait bien aller à l’Université comme eux, mais les femmes n’en ont pas le droit. Bien décidée à subvenir à ses besoins, Annie débute une carrière d’enseignante. Le temps passe et les études supérieures s’ouvrent enfin aux femmes. Elle poursuit alors sa formation en Grec à l’Université du Michigan.
Fanny, elle, n’a pas les mêmes priorités. Sa scolarité se termine par un passage par un pensionnat de jeunes filles où cuisine, savoir-vivre et art de tenir une maison sont les matières principales. A l’époque où Annie obtient son diplôme universitaire, Fanny se marie. Elle épouse un médecin qui va lui faire découvrir l’alpinisme. Forts d’héritages confortables, ils vont pouvoir voyager et s’adonner à leur passion commune pour la montagne. Annie, elle, ne passe pas par la case mariage. C’est l’enseignement qui va lui procurer ses premiers revenus et lui permettre de prendre le large.
De premiers sommets en Europe
En 1895, Annie Peck escalade le Cervin dans les traces de Lucy Walker. Contrairement à cette dernière, elle porte des vêtements d’hommes et c’est principalement ce que la presse d’époque va noter. Son nom commence à être connu dans le milieu des grimpeurs. Fanny Workman fait aussi partie des premières femmes à avoir gravi ce sommet mythique, dans une tenue beaucoup plus conventionnelle pour l’époque. Après avoir exploré à vélo de nombreuses contrées d’Europe, Workman met le cap sur l’Himalaya. Elle embauche des guides suisses pour s’aventurer dans les montagnes de l’actuel Pakistan. Aux explorations succèdent les ascensions. Elle a 47 ans quand elle grimpe le Pinnacle Peak, dans l’actuel Ladakh, en 1906. Elle atteint alors une altitude record pour une femme : 7.091 mètres.
Himalaya et Cordillère des Andes
Dans le même temps, Annie Peck grimpe en Amérique du Sud. Dans la cordillère des Andes, elle multiplie les ascensions. Jusqu’à celle du Huascaran nord, en 1908, sommet de 7.300 mètres d’altitude selon ses dires. Workman n’admet pas de perdre son titre et ne recule devant aucune dépense pour démontrer qu’elle est toujours la femme la plus haute du monde… Elle embauche un géographe français qui mène à sa demande une expédition pour mesurer précisément l’altitude du Huascaran. Il révèle alors que l’altimètre utilisé par Peck était défectueux et que, s’ajoutant aux approximations de ses guides, une erreur de 600 mètres s’était glissée dans l’histoire… De quoi rendre son titre à Workman.
Féminisme au sommet
En 1911, Peck continue ses ascensions sud-américaines. Au Pérou, elle grimpe sur le Nevado Coropuna. A son sommet, elle étend une bannière plaidant pour le droit de votes pour les femmes. Quelques années plus tard, Workman se fait photographier en montagne lisant un journal titrant sur ce même sujet. C’est un thème sur lequel elles se rejoignaient, les femmes devaient pouvoir voter. Et leurs actes symboliques ne seront pas vains. Aux Etats-Unis, elles verront l’instauration du droit de votes pour les femmes de leur vivant.
Plus que ces anecdotes, ce sont bien les actions de Workman et Peck qui seront porteuses d’un message féministe dans un contexte où de grands noms de l’alpinisme encouragent alors les femmes à se détourner de ce sport. L’historien du sport Allen Guttmann explique même que « la supposition claire qui sous-tend les tentatives visant à limiter les femmes à des exercices légers et mouvement gracieux, était que les sports vigoureux sont essentiellement masculins…. Avec le début de à la puberté, les garçons devaient faire preuve de prouesse comme symbole de virilité et de domination ; les filles devaient faire juste assez de gymnastique pour rester en bonne santé pendant qu’elles développaient leurs compétences pour tenir un ménage ou attirer des maris potentiels ». Ces femmes qui gravissent les montagnes font la démonstration concrète que les genres dominants des sociétés occidentales ne sont pas si indiscutables.
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En 1912, Fanny Workman fait référence à son exploration du moment sous le nom de « l’expédition Fanny Bullock Workman » et s’en explique : « inscrire mon nom complet sur la carte de l’expédition est uniquement au bénéfice de l’accomplissement des femmes. Maintenant et à l’avenir, il faut savoir qu’une femme était l’initiatrice et le chef de cette expédition. Quand plus tard, la femme occupera sa place reconnue de travailleuse dans tous les domaines, une telle mise en avant de son travail ne sera plus nécessaire ; mais ce jour n’est pas tout à fait arrivé, et à présent il incombe aux femmes, pour le bénéfice de leur sexe, de consigner ce qu’elles font ».
Albert Mummery, Alexandre Burgener, Matthias Zurbriggen, le duc des Abruzzes, Norman Collie… Les principaux noms que retient l’histoire de l’alpinisme pour la période où elles grimpaient des Andes à l’Himalaya sont des noms d’hommes. Annie Peck et Fanny Workman sont décédées dans l’entre-deux-guerres.
Illustration – de gauche à droite, Peck et Workman © DR
