Quand il s’engage dans l’ascension de la face nord de l’Eiger (Alpes suisses), Toni Kurz n’imagine pas le supplice mortel dans lequel il s’est engagé tête baissée.
La face nord de l’Eiger est longtemps restée invaincue par l’homme. Malgré de multiples tentatives, il semblait impossible de la franchir. Eté 1936, elle résiste encore aux assauts répétés de quelques-uns des meilleurs grimpeurs de l’époque. En juillet de cette année-là, plusieurs cordées tentent leur chance. Le 18 juillet, il n’en reste plus que deux. La première cordée est composée de Toni Kurz, un Allemand de 23 ans, et d’Andreas Hinterstoisser, son compatriote de deux ans son cadet. La seconde cordée est autrichienne, avec Willy Angerer et Eduard Rainer. Le début de l’ascension est rapide mais tout se complique au deuxième jour quand une chute de pierres touche Angerer. Malgré sa blessure, il continue.
Le piège de la Traversée Hinterstoisser
Le groupe s’était préalablement heurté à un passage très délicat. C’est Hinterstoisser qui parvint à résoudre une traversée que les autres pensaient impossible. Elle porte encore son nom aujourd’hui. Mais aussi brillante fut la technique du jeune Allemand, elle fut surtout piégeuse. Contraints de retirer la corde au fur et à mesure qu’ils avançaient, les quatre hommes ne pouvaient plus revenir en arrière. Quand la météo se détériora et que les blessures d’Angerer semblèrent s’aggraver, il fallait pourtant faire demi-tour. Impossible. Les quatre hommes étaient piégés sur cette fameuse face nord, à portée de jumelles des hôtels de la Kleine Scheidegg.
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Une seule issue, la descente en rappel. Les uns après les autres, ils entamèrent cette manœuvre qui pourrait bien les tirer d’affaire. La voie de chemin de fer et ses tunnels n’étaient finalement pas si loin. Mais ils jouèrent de malchance. Car c’est une avalanche qui s’abattit alors sur la paroi. Elle emporta dans sa course Andreas Hinterstoisser, alors détaché de la corde. Willy Angerer, déjà blessé à la montée, perdit l’équilibre et chuta contre la paroi. Le choc fut bien trop violent pour qu’il n’y résiste. Deuxième victime. La corde qui reliait Angerer à Rainer était alors en tension extrême. Le poids asphyxia rapidement Rainer qui devint la troisième victime de cette séquence morbide. Kurz était le seul survivant, suspendu à la corde.
Le calvaire de Toni Kurz
Mais son calvaire n’allait pas s’arrêter là. Car en 1936, les secours étaient encore rudimentaires et les trois guides qui entamèrent une opération de sauvetage ce même jour allaient avoir bien des difficultés à approcher Kurz. Ils ne parvinrent pas à l’atteindre, et sa situation se détériora rapidement. Suspendu aux quatre vents, Kurz commença littéralement à geler. Une main et un bras étaient d’ores et déjà paralysés. Les sauveteurs n’étaient pas loin, mais ils ne parvenaient pas à franchir le dernier surplomb qui les séparait.
Kurz ne ménagea pas sa peine et tenta de continuer sa descente en bricolant de quoi allonger sa corde. Mais un nœud bloqué dans son mousqueton et ses dernières chances de s’en tirer s’envolèrent. Il ne parvint pas à défaire ce fichu nœud. Ses mains gelées refusant d’obéir. Il mourra d’hypothermie quelques heures plus tard. Le macabre bilan de la face nord de l’Eiger venait de s’alourdir.
Illustration – face nord de l’Eiger (c) Pixabay