Durant l’été 2011, L’Autrichienne Gerlinde Kaltenbrunner est de retour au K2 pour une septième tentative. Ce sera la bonne. A l’issue d’une expédition épique, elle deviendra la première femme à avoir gravi tous les 8.000 de la planète sans oxygène.
Gerlinde Kaltenbrunner gravit son premier 8.000 à 23 ans, le Broadpeak. L’infirmière autrichienne économise le moindre schilling pour organiser des expéditions en Himalaya. Dix ans plus tard, elle devient alpiniste professionnelle et les sponsors lui permettent alors de vivre de sa passion. Après l’ascension de l’Everest au printemps 2010, il ne lui reste plus qu’un seul objectif : le K2. Si elle parvient à son sommet, elle deviendra la première femme au monde à avoir gravi les 14 « 8.000 » de la planète sans oxygène.
Six vaines tentatives au K2 pour Gerlinde Kaltenbrunner
Mais le K2 est terrible. En 2007, 2009 et 2010, elle a tenté son sommet. En vain. Au total six tentatives dont une dernière qui lui a laissé un goût amer. Un alpiniste suédois qui grimpait à ses côtés, Frederik Ericsson, a chuté mortellement dans la dernière partie de la montée, sous ses yeux. Quand elle quitte le camp de base en 2010, elle ne sait pas si elle reviendra un jour. A ce moment-là elle n’en a pas envie. Loin de là. Tout ce qu’elle vit est bien trop dur.
Et pourtant, petit à petit, en quelques mois, le désir de vaincre cet ultime sommet revient. Quand elle arrive au Pakistan en 2011, Gerlinde espère bien que cette nouvelle tentative sera la bonne. Après six tentatives par la face Sud, elle se décide à changer d’itinéraire. Le pilier Nord retient son attention. La perspective d’une nouvelle voie convainc Ralf Dujmovits, son mari d’alors, de l’accompagner.
Mauvais temps et avalanches
Le routeur météo est formel, la meilleure journée est le 21 août. Mais le temps des jours précédents n’est vraiment pas bon. Pour profiter de cette fenêtre, Gerlinde et Ralf démarrent dans le mauvais temps, ils sont accompagnés par quatre autres grimpeurs. A l’arrivée au premier camp, la neige a recouvert la tente, il faut pelleter pour la retrouver et en dégager l’entrée. Le lendemain, quelques heures de soleil purgent la pente. Plusieurs avalanches se déclenchent dans la voie. C’est une bonne chose, la cordée va pouvoir continuer sa montée dans une « relative » sécurité.
Alors que le lendemain doit être ensoleillé, la neige se met à voltiger dans les airs pendant près de cinq heures, sans discontinuer. Au petit matin, quand ils sortent de leur tente, le manteau blanc a repris le dessus. Après quelques heures à avancer, Ralf déclare forfait. Il est fatigué et ne sent pas la suite du parcours. Il préfère faire demi-tour. Gerlinde Kaltenbrunner commence à douter mais elle continue, malgré la neige de plus en plus profonde. A mi-chemin entre le camp I et le camp II, elle est obligée de bivouaquer pour la nuit. Le lendemain elle arrive au camp II et peut enfin joindre Ralf par radio. Il leur confirme que la météo devrait s’améliorer d’ici quelques heures.
Guidée à la jumelle
L’après-midi du jour suivant, elle parvient au camp III avec ses compagnons de cordée. Les vents violents se calment enfin. C’est une bonne nouvelle. D’autant qu’ils ont balayé de grandes quantité de neige et que la voie n’est plus trop difficile à tracer. Après le camp IV, la principale difficulté de l’ascension – le couloir des Japonais – se présente à la cordée. Avec ses jumelles, Ralf arrive à les guider et ils traversent le couloir sans prendre trop de risques.
Ils ne retournent pas au camp précédent pour la nuit, ils préfèrent bivouaquer à environ 8.300 mètres, sur un petit balcon rocheux. Le sommet n’est plus très loin. A minuit, après s’être reposés quelques heures tant bien que mal, les grimpeurs se préparent à repartir. A 1h30 ils sont dans la voie mais il fait beaucoup trop froid. Les doigts, les orteils… tout gèle. Alors après quelques dizaines de mètres, ils reviennent à leur abri et attendent que l’air se réchauffe un peu. Au lever du soleil, ils repartent, se relayant en tête pour ne pas trop se fatiguer. Les coulées de neige sont nombreuses et manquent de les déstabiliser. Gerlinde parvient la première sur l’arête sommitale. Elle ne s’arrête pas, elle sait que le plus dur est derrière elle et que ce n’est plus qu’une question de volonté. Ce n’est plus très technique, il faut juste avancer. Mettre un pied devant l’autre.
18h18 : la victoire de Kaltenbrunner
A 18h18, l’Autrichienne arrive au sommet. Le temps est complètement dégagé. Sa joie est immense. Elle contemple le coucher du soleil et reste près d’une quarantaine de minutes sur la cime de la deuxième montagne la plus haute du monde. Gerlinde attaque la descente vers 19h, dans la nuit. Descendre à la seule lueur des lampes frontales est extrêmement risqué. Heureusement, le bivouac est atteint peu avant minuit. Après un peu d’eau chaude pour se redonner du courage, Gerlinde et l’un des autres membres de la cordée continuent leur parcours vers le bas. Elle ne veut pas rester plus longtemps au-dessus de 8.000 mètres. Ils arrivent au camp IV et descendent au lever du jour jusqu’au camp I. Elle a enfin réussi. La septième tentative, par une nouvelle voie, a été la bonne ! Kaltenbrunner est ainsi devenu la première femme au monde à avoir gravi les 14 « 8.000 » sans oxygène supplémentaire.
Par la suite, Gerlinde Kaltenbrunner prendra un peu de recul et délaissera l’alpinisme de très haute altitude. Finis les 8.000 ! Elle réalisera toujours des expéditions mais sur des sommets beaucoup plus accessibles. Il faut dire que statistiquement, c’est une miraculée. Elle le sait bien. Les alpinistes qui se lancent dans cette conquête des sommets de « 8.000 mètres » ont plus de chances de mourir que de réussir. Alors sitôt le quatorzième sommet atteint, la raison a repris le dessus.
Illustrations Gerlinde Kaltenbrunner © Franz Johann Morgenbesser – CC BY-SA 2.0