L’expédition américaine au K2 en 1953 n’est pas restée dans l’Histoire pour avoir atteint le sommet. Elle ne l’a pas atteint. Mais bien pour le courage de ses membres et leur dévouement à sauver l’un des leurs : Art Gilkey.
Il y a quelques semaines, plusieurs grimpeurs et leurs amis étaient rassemblés au pied du K2 pour commémorer la disparition de leurs amis l’hiver dernier. Une petite cérémonie avait été improvisée au Mémorial Gilkey, ce « monument » dédié aux victimes du K2. Mais d’où vient ce nom ? Qui était Art Gilkey, qui a donné son nom à ce site de recueillement ? Pour le savoir, il faut faire un voyage dans le temps : cap sur l’été 1953. A cette époque, personne n’a jamais encore réussi à gravir le K2 et une expédition américaine compte bien y parvenir.
Une troisième tentative américaine
Charles Houston dirige l’expédition, comme il avait d’ailleurs dirigé une précédente tentative en 1938. Déjà, ses troupes avaient réussi à atteindre la barre des 8.000 mètres. L’année suivante, sous la direction de Fritz Wiessner, des Américains se hissent jusqu’à 8.370 mètres mais quatre grimpeurs disparaissent et l’expédition rentre aux Etats-Unis. Wiessner déclarera à la presse : « sur les hautes montagnes comme à la guerre, on doit s’attendre à des pertes ». La polémique qui s’en suivit contribua à disqualifier Wiessner de diriger une nouvelle expédition sous le drapeau américain.
Une expédition en style alpin, ou presque !
Revenons donc à 1953. A cette époque, la partition des Indes est encore récente et les sherpas indiens n’ont pas le droit de cité au Pakistan. Il faudra donc recourir aux porteurs Hunza, moins expérimentés en haute altitude. La voie visée est l’Eperon des Abruzzes, déjà reconnu par le fameux Duc des Abruzzes, au début du siècle. Faute de porteurs capables de grimper au plus haut sur la montagne, le recours à de l’oxygène en bouteille est écarté, le matériel est trop lourd à porter. La dizaine d’alpinistes américains arrive au camp de base vers le 20 juin. Pendant plus d’un mois, les grimpeurs se relaient pour alimenter des camps d’altitude jusqu’à ouvrir un Camp 8 à environ 7.800 mètres début août. Il s’agit du dernier camp, c’est de là que doit partir l’assaut final vers le sommet.
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L’impossible sommet dans la tempête
L’équipe rejoint ce camp d’altitude mais une tempête se lève. Elle dure plusieurs jours si bien que le groupe d’alpinistes est coincé à presque 8.000 mètres pendant de longues journées. Trop longues. Les corps s’affaiblissent et l’espoir de pouvoir tenter le sommet s’amenuise d’heure en heure. Le 7 août, un des grimpeurs, Art Gilkey, s’effondre en sortant de la tente. Le chef d’expédition, également médecin, diagnostique une phlébite profonde. A cette altitude, des caillots dans le sang peuvent être fatals en très peu de temps. Exit le sommet, les grimpeurs se mobilisent pour tenter de sauver Gilkey. Mais la météo ne l’entend pas de cette oreille. Le 10 août, le groupe est toujours bloqué à 7.800 mètres et l’état de Gilkey est clairement dégradé. Il n’est plus question d’attendre, malgré le risque d’avalanches, il faut descendre.
Sauver Art Gilkey : la retraite tragique
Ils positionnent Gilkey sur une civière de fortune et s’engagent dans la descente. Une chute entraine la majorité du groupe sur plusieurs dizaines de mètres avant de rejoindre le Camp 7. Plus de peur que de mal même si quelques-uns sont blessés, mais la progression est trop lente. Ils ne descendent pas assez vite pour pouvoir sauver leur ami. Pendant que les hommes préparent les tentes du Camp, la civière est solidement attachée à la pente à une quarantaine de mètres de là. Quand ils reviennent le chercher quelques minutes plus tard, il a disparu. Nul ne sait dire avec certitude ce qui s’est produit. Une petite avalanche qui aurait emporté la civière. Le suicide d’un homme convaincu qu’il n’avait aucune chance et qu’il obérait celles de ses camarades. Toujours est-il que sa disparition a permis au reste du groupe de descendre plus rapidement.
Le Mémorial Art Gilkey
Il leur faut néanmoins 5 jours pour rejoindre le camp de base. Ils y dressent un tas de pierres, devenu mémorial en hommage à la disparition de leur camarade. Il se situe à la confluence des glaciers Godwin-Austen et Savoia. Gilkey n’a jamais été enterré sous ces pierres. Retrouvés (en partie) en 1993, ses restes sont inhumés dans sa ville de l’Iowa (lien en anglais).
Le mémorial est toujours là, près de 70 ans plus tard. Il rend désormais hommage à plusieurs dizaines de victimes du K2. Encore aujourd’hui, cette expédition de 1953 reste dans les annales de l’histoire de l’alpinisme. La fraternité de la cordée et le courage dans le sauvetage quasi-impossible d’Art Gilkey ont élevé cette aventure au rang de modèle. Reinhold Messner lui-même les citera en référence des années plus tard. Houston écrira « nous avons rejoint la montagne tels des étrangers, nous sommes repartis comme des frères ».
Illustration – le mémorial en 2019 © Molly Tollzmann CC BY-SA 2.0