Si la capitale mondiale de l’alpinisme se situe au pied du mont Blanc, d’autres massifs français ont une longue tradition de grimpe. C’est le cas des Ecrins, Pierre Gaspard en a été un des artisans : il a notamment été le premier à gravir le Grand Pic de la Meije.
Réduire l’alpinisme sur le territoire français au seul Massif du Mont Blanc serait une erreur. Plus au sud, les Ecrins sont un autre haut lieu de la pratique de la haute montagne dans l’Hexagone. Dôme et Barre des Ecrins, Ailefroide, Pelvoux, Aiguille Dibona, Olan… Les sommets sont nombreux mais il en est un qui a une élégance toute particulière, c’est la Meije, dont le Grand Pic culmine à 3.983 mètres. C’est le second sommet des Ecrins.
Août 1877 : Pierre Gaspard emmène Boileau de Castelnau à la Meije.
A la fin du XIXème siècle, il est un chasseur de chamois qui a la réputation d’être un sacré grimpeur du côté de Saint Christophe en Oisans. C’est Pierre Gaspard que d’aucun surnommeront Gaspard de la Meije après le succès dont il est ici question. Août 1877, Pierre Gaspard accueille son client, Emmanuel Boileau de Castelnau. Un petit jeune qui n’a pas vingt ans. Ils se connaissent déjà bien car cela fait deux ans qu’ils parcourent ensemble les sommets des Ecrins.
Quelques années plus tôt, Boileau de Castelnau avait fait la connaissance d’Henri Duhamel, membre fondateur du Club Alpin Français et obsédé par un sommet : la Meije. Quelques discussions entre les deux hommes suffirent à convaincre Boileau de Castelnau que cette montagne devait être fabuleuse. C’est ainsi qu’il se décida à entreprendre son ascension. Quant à Gaspard, il n’était pas n’importe quel guide, il avait déjà accompagné Duhamel dans sa précédente et infructueuse tentative. Ils avaient été bloqués au pied d’une pyramide de roche lisse, bien loin du but.
La Meije, sommet majeur des Alpes
Le Meije est composée de deux sommets : le pic central, déjà conquis à l’époque. Et le Grand Pic ou pic occidental, le plus haut. En 1877, ce dernier est toujours vierge et suscite les convoitises de nombreux alpinistes du monde entier, notamment celles de l’Américaine Meta Brevoort.
Partis le 4 août de Saint Christophe en Oisans, le client et son guide se dirigent vers la Meije pendant que le fils Gaspard fait un crochet par La Bérarde pour y récupérer des vivres. Une nuit à la belle étoile et les voilà repartis. Bien que réticent au début, Gaspard père accepte de continuer vers la Meije, qui n’était pas la course initialement prévue. Quelques heures suffisent au guide pour escorter Castelnau jusqu’au dernier rocher atteint avec Duhamel, ils y arrivent peu avant midi. Mais Gaspard sait les difficultés de la dalle lisse qui suit, et il ne veut pas s’y aventurer, il refuse de continuer. Qu’à cela ne tienne, Boileau de Castelnau ira tout seul ! Il suffisait de s’attaquer à l’égo du guide pour le faire changer d’avis. Un grand classique.
Une difficulté pieds nus
Leurs chaussures cloutées glissent sur le rocher poli. Gaspard a alors une idée et retire ses souliers pour continuer pieds nus. Et c’est très efficace. Sur un sol pareil, les orteils offrent une adhérence honorable et quelques minuscules prises viennent aider la progression. En quelques minutes, la dalle est franchie mais le sommet est encore loin et les pieds meurtris. Gaspard ne cache pas sa satisfaction d’avoir réussi à passer cette difficulté mais il se fait tard. Alors le duo redescend, bien décidé à remonter le lendemain pour aller au bout. Bien sûr, en arrivant à La Bérarde, la cordée ne raconte rien et ne parle pas d’y retourner…
Le mauvais temps met leur patience à rude épreuve. Par deux fois, ils s’aventurent jusqu’au bivouac du Châtelleret, mais doivent rebrousser chemin. Ce n’est que dix jours plus tard qu’ils peuvent grimper à nouveau. Mi-août, un troisième guide est engagé pour mettre tous les atouts de leur côté et dans la nuit du 15 au 16, ils arrivent au Châtelleret pour y dormir un peu. Après un départ très matinal, le groupe parvient à la difficulté supposée infranchissable mais finalement vaincue en début de mois. Cette fameuse pyramide atteinte par Duhamel.
La dernière difficulté et le sommet de la Meije pour Gaspard
Il est environ 9h du matin. Ils sont de retour sur la terrible dalle qui n’est plus aussi difficile : ils avaient laissé la corde utilisée à la descente ! Au-dessus, ils enchainent péniblement par un petit glacier plutôt simple à traverser mais le troisième guide peine et ne montera pas plus haut. En 45 minutes, le glacier est derrière eux et ils arrivent sur l’ultime problème de l’ascension. Un surplomb qui barre l’accès au sommet si proche ! Gaspard père, puis Castelnau et enfin Gaspard fils : tour à tour, ils tentent de passer mais manquent de se rompre les os. Alors qu’ils allaient abandonner, l’habile chasseur de chamois propose de contourner la difficulté en traversant vers la face nord. Après deux heures sur cette dernière difficulté, Boileau de Castelnau passe à son tour et ils finissent ensemble les derniers mètres de montée.
Le 16 août 1877, en milieu d’après-midi, ils ont réussi. Ils sont au sommet du Grand Pic. Avant de redescendre, les Gaspard père et fils construisent deux gros cairns visibles de loin pour marquer leur passage ! Pierre est soulagé, il se réjouit que ce ne soit pas un guide étranger qui ait vaincu la Meije. Ces guides dont il est question sont notamment ceux de la Compagnie des Guides de Chamonix, à cette époque plus que jamais, corporation hautaine qui méprisait souvent les guides qui n’avaient pas grandi dans la vallée de l’Arve.
La descente de la Meije et la victoire de Gaspard
Ils passent la nuit dans la montagne, faute de trouver leur chemin dans l’obscurité. Le bivouac n’est pas de tout repos. Le temps est mauvais et la neige et le vent les refroidissent. Ils redescendent le 17 dans la vallée, sains et saufs, non sans faire une dernière halte déjeuner au Châtelleret ! Ils rejoignent Duhamel le jour suivant à l’inauguration d’un des premiers refuges du massif : le Refuge Cézanne. Le public les ovationne.
La carrière de grimpeur de Boileau de Castelnau ne durera pas. Son service militaire l’année suivante en sonnera le glas. Gaspard, quant à lui, continuera à emmener des clients dans le massif jusqu’au début du XXème siècle.
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