Pour la première fois, les Polonais ne sont plus seuls au sommet des 8.000 en hiver. Le 14 janvier 2005, c’est l’Italien Simone Moro qui réussit la première hivernale du Shishapangma, aux côtés de Piotr Morawski. Ah si, il y avait quand même bien un Polonais !
Le Sud-Tyrolien Simone Moro a une drôle d’histoire avec le Shishapangma. Avec ses 8.027 mètres, c’est le plus petits des 8.000. C’est aussi le seul à être situé uniquement en Chine. Il est réputé pour être parmi les plus faciles techniquement ; pour autant, il reste un sommet engagé et le gravir n’est à la portée que d’un petit nombre d’alpinistes aguerris. C’est en 1994 que Moro est venu pour la première fois se confronter à ce sommet chinois. A 6.300m il fait alors demi-tour, se faufilant par miracle entre les avalanches. Deux ans plus tard, il finit ce qu’il avait commencé : il parvient au sommet. Dix ans après sa première tentative, il élève le niveau d’un cran. Il tente sa chance en hiver.
Le Shishapangma n’a jamais été gravi en hiver, et il connaît si bien cette montagne qu’il ne peut pas résister. Le sommet, lui, résiste. Arrivés à 7.700 mètres à 15h, Moro et son acolyte Piotr Morawski font demi-tour. Il leur restait bien 3 ou 4 heures jusqu’au sommet. « Le vent devenait plus fort et un bivouac imprévu aurait certainement entraîné de graves gelures » écrivait alors Morawski (lien en anglais). La prochaine sera la bonne se dit alors Moro.
Automne 2004 : Lafaille passe devant !
Automne 2004, dans des conditions très froides, le français Jean-Christophe Lafaille parvient seul au sommet du Shishapangma. Le 11 décembre. Polémique du moment, certains considèrent cet exploit solitaire comme la première hivernale. Simone Moro n’est pas de cet avis. Alors, la nouvelle de l’ascension du Français ne le fait pas changer d’avis, il ira au sommet dans les semaines qui viennent, au cœur de l’hiver.
Début décembre, des grèves et des blocages sur fond de forte répression ralentissent le voyage d’approche de Moro. Il est accompagné par Piotr Morawski et plusieurs himalayistes polonais. Ces derniers sont les spécialistes des hivernales sur les plus hauts sommets. Sur les sept sommets de plus 8.000 mètres gravis en hiver à fin 2004, tous l’ont été par des Polonais. Le 21 décembre, le groupe rejoint le Tibet. Près d’une trentaine de yaks accompagnent la caravane qui s’ébranle le lendemain à destination du camp de base. Situé à un peu plus de 5.200 mètres, il est atteint en deux jours.
Hiver au Shishapangma : entre Noël 2004 et Jour de l’An 2005
Entre Noël et jour de l’an, l’équipe de grimpeurs prend ses marques sur la voie des Yougoslaves, un itinéraire de la face Sud du Shisha. Quand les premières lueurs de 2005 apparaissent, les hommes sont bloqués par le mauvais temps au camp de base. En quelques jours, ils sont arrivés à repérer la voie jusqu’à 6.500 mètres. C’est très prometteur. A la fin de la première semaine de janvier, un nouveau camp d’altitude est installé et la voie est ouverte jusqu’à 7.200 mètres. Les passages les plus délicats méritent l’installation de cordes fixes pour tenter de les sécuriser un minimum.
Sur le sommet, les vents hivernaux soufflent à près de 180 km/h. Impossible dans ces conditions de quitter les camps. Le routeur météo, basé en Autriche, est confiant s’agissant d’une légère amélioration vers mi-janvier. Il n’en faut pas plus à Simone Moro et Piotr Morawski pour enfiler leurs crampons et quitter le camp de base. Le 11 janvier, ils dorment au camp de base avancé, à 5.600 mètres. Le lendemain, ils sont au camp I, à 6.500 mètres. Le soleil est de retour mais le vent est toujours là. La tente manque d’être balayée par des rafales. Sans trop dormir, le duo s’accroche et le vent se calme enfin.
Le lendemain, ils emportent une tente, des vivres et leurs sacs de couchage. Direction un camp II qui n’existe pas encore. Ils grimpent dans un mélange de neige et de rochers friables. Ils posent même une centaine de mètres de corde fixe pour sécuriser leur montée, et leur future descente.
Un deuxième camp sur la crête et le sommet !
Ils atteignent ainsi les 7.400 mètres. Bien que moins violent, le vent est toujours là quand ils déplient leur tente et installent officiellement le Camp II ! Depuis leur poste d’observation, ils remarquent qu’une partie de l’arête qui mène au sommet est abritée du vent. Une partie seulement.
Le 14 janvier, ils quittent leur camp vers 8h du matin, quand le soleil réchauffe enfin leur tente. Malgré un vent qui souffle encore à 80 km/h, ils avancent sur l’arête. Cinq heures leur suffisent pour atteindre le sommet. La première hivernale du Shishapangma vient d’être réalisée.
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Le cuisinier perdu ?
Dans les jours qui suivent, la fenêtre météo se referme. Les autres membres de l’expédition n’iront pas au sommet. De retour au camp de base, les conditions sont exécrables. La neige tombe abondamment, le vent est à nouveau à son maximum. Les températures frôlent les -40°C. Chiring, aide cuisinier, ne redescend pas du camp de base avancé. Il y est monté pour récupérer le reste du matériel. La nuit tombée, les himalayistes se lancent alors à sa recherche, redoutant le pire. Impossible de le trouver. Fort heureusement, le garçon s’était bâti un petit bivouac, se voyant bloqué par la neige. Il est finalement redescendu seul jusqu’au camp de base le lendemain. Soulagement. Le 20 janvier 2005, l’expédition quitte enfin le camp de base du Shishapangma en direction de Nyalam, le premier village dans la vallée.
La descente jusqu’à la civilisation est l’une des parties les plus périlleuse de l’aventure. La tempête est telle que les grimpeurs commencent à perdre la sensibilité de leurs doigts. Ils sont plusieurs à tomber dans l’eau froide du torrent, en passant à travers une trop fine couche de glace. Quand ils arrivent enfin à la frontière, ils sont dans un sale état.
Et après ?
Cette expédition marque le début des aventures hivernales en très haute altitude pour Simone Moro. Quatre ans plus tard, il sera au sommet du Makalu pour sa première hivernale. En 2011, ce sera au tour du Gasherbrum II, même si une terrible avalanche manquera d’emporter toute l’équipe. Enfin en 2016, il deviendra l’himalayiste hivernal le plus titré de l’histoire en réalisant la première du Nanga Parbat. Cet hiver, Simone Moro est en expédition au Manaslu !
Piotr Morawski délaissera les expéditions hivernales mais pas l’Himalaya. En 2009, il chutera dans une crevasse sur les pentes du Dhaulagiri et ne s’en relèvera pas. Il avait 32 ans.
Illustrations © DR