Eté 1986, Maurice et Liliane Barrard, surnommés le « couple le plus haut du monde », s’attaquent au second sommet de la planète, le K2. Une montagne qui ne pardonne pas les imprudences. Récit de leur aventure qui tourne à la tragédie.
Maurice et Liliane se rencontrent en 1973 au Pérou. Quatre ans plus tard, ils sont mariés et démarrent leur vie commune dans le Val de Loire. Elle est kiné, il est éducateur. Pour eux, bien qu’installés non loin de Chartres, la montagne n’est jamais loin. Dès que l’occasion se présente, ils s’embarquent dans des expéditions en haute altitude. D’abord chacun de son côté, Maurice est par exemple au K2 en 1979 avec Pierre Béghin, puis ensemble.
Les premiers doigts gelés et de belles frayeurs
En 1982, ils sont au sommet du Gasherbrum II. L’année suivante, ils s’attaquent au Nanga Parbat. Ils rentrent bredouille, avec de belles frayeurs en mémoire et quelques doigts gelés. Ils persistent en 1984, toujours au Nanga Parbat. Ce coup-ci, leur meilleure préparation est payante. Ils parviennent au sommet à 8.126 mètres. Liliane Barrard est ainsi la première femme à gravir cette montagne du Karakoram. Le « couple le plus haut du monde » ne compte pas s’arrêter là. Après le Makalu en 1985, les revoici au Karakoram au printemps 1986. Objectif : le K2 et ses 8.611 mètres.
Un K2 très fréquenté cet été là !
Lorsqu’ils arrivent au camp de base sur le glacier Godwin-Austen, c’est la foule des grands jours. Pas moins de quatorze expéditions se sont fixé le même objectif. Parmi elles, les superstars de l’himalayisme de l’époque. On peut croiser les Polonais Wanda Rutkiewicz et Jerzy Kukuczka, l’Anglais Alan Rouse, l’Italien Renato Casarotto, l’Autrichien Kurt Diemberger ou encore le Yougoslave Tomo Cesen. Même Karl Herrligkoffer est là ! Tous des noms illustres de l’alpinisme de haut niveau.
Chaque expédition a un itinéraire bien précis en tête et si tous visent le même sommet, il y a finalement assez peu de monde sur chaque arête ! Le couple Barrard entreprend de grimper par la voie normale, dite des Abruzzes. Ils ne sont pas seuls. On retrouve dans leur groupe Wanda Rutkiewicz, très peu de sommet lui ont jusque là résistés, elle ne compte pas échouer au K2. Michel Parmentier, ancien correspondant de guerre au Liban et alpiniste expérimenté, est aussi de la partie. Après plusieurs semaines d’acclimatation, ils attaquent les premiers contreforts de la montagne le 18 juin. Direction le sommet.
La fatigue dans l’ascension et la mauvaise décision
Dès le premier jour, Parmentier est soucieux. Les Barrard ne semblent pas en forme. Ils montent péniblement de camp en camp. Les passages les plus techniques sont extrêmement laborieux, malgré les cordes fixes installées les semaines précédentes. Le 22 juin, le groupe quitte le camp IV pour l’attaque finale.
Moins de trois cent mètres sous le sommet, Liliane et Maurice Barrard sont exténués. A une altitude où l’hypoxie limite les capacités de réflexion, ils prennent la mauvaise décision. Au lieu d’entamer un demi-tour et de renoncer au sommet, ils décident de bivouaquer. 8.400 mètres, ce n’est pas une altitude pour se reposer, surtout quand on ne dispose que d‘une simple tente.
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Le lendemain, ils ont le courage de repartir, hypnotisés par la cime toute proche. Ils y arrivent à la mi-journée. Wanda est la première, décrochant ainsi le titre de première femme au sommet du K2. Le reste du groupe suit. Ils sont tous parvenus à vaincre le sommet mais le plus dur reste à faire, il faut redescendre ! Ils parviennent jusqu’à la dernière tente en fin de journée.
La descente tragique
Le lendemain, Parmentier est le premier à quitter l’abri. Vent violent, chutes de neige, froid terrible : la tempête s’est levée. On n’y voit plus rien. Les trois autres suivent, tant bien que mal. Arrivé au camp III, vers 7.000m, le journaliste est vite rejoint par la Polonaise. Mais pas de traces du couple Barrard. Dans leur état, certains passages de la descente dans une telle tempête étaient clairement suicidaires.
Le lendemain, Rutkiewicz va descendre jusqu’au camp de base. Parmentier, lui, va tenter de remonter à la recherche de Liliane et Maurice. Cette tentative est vaine et Parmentier manque d’y laisser sa vie. Il est sauvé in-extremis par le guidage radio avisé d’un grimpeur du camp de base, un certain Benoît Chamoux.
Et après ?
Fin juillet, en grimpant vers le sommet, Kurt Diemberger trouvera le corps de Liliane Barrard au pied de la voie. Celui de son époux ne sera retrouvé qu’à l’été 1998 par l‘américaine Heidi Howkins. Michel Parmentier continuera ses ascensions jusqu’à une terrible tempête en 1988 sur l’Everest. Son corps ne sera pas retrouvé. Wanda Rutkiewicz, de son côté, périra en 1992 au Kangchenjunga non sans avoir entre temps réussi l’ascension de cinq autres « 8.000 ». Quant à Benoît Chamoux, il continuera sa course aux 8.000 sans pouvoir atteindre son objectif, fauché par le Kangchenjunga. Son corps n’a jamais été retrouvé.
En ce seul été 1986, vingt sept personnes auront atteint les 8.611 mètres d’altitude du K2. Mais treize auront péri sur ses pentes. Deux Américains pris dans une avalanche, deux Polonais qui chutèrent dans le vide, un Italien tombé dans une crevasse, un Hunza fauché par une pierre, cinq autres grimpeurs morts d’épuisement et le couple Barrard, disparu ! Inventaire morbide d’une saison sur le terrible K2.
Illustrations © Sallahuddin shah CC BY-SA 4.0