Il y a 50 ans, une expédition sur le Nanga Parbat allait se transformer en tragédie. Dans les rôles titres, deux frères. Reinhold et Günther Messner. Le premier est devenu une légende de l’himalayisme. Le second n’aura pas eu cette chance. Cette expédition de l’été 1970 aura été sa dernière aventure en altitude. Récit extrait de 50 ascensions.
Le cadeau de Noël 1969 !
Noël 1969, le docteur Karl Herrligkoffer confirme à Reinhold et son petit frère Günther qu’ils feront partie d’une expédition himalayenne en cours de préparation. Ils ont tout juste la vingtaine. Ils vont donc faire leurs bagages pour rejoindre les pentes raides du Nanga Parbat. Dix-sept ans après la première expédition réussie sur cette montagne du Pakistan, déjà organisée par Herrligkoffer, il est question de s’attaquer au versant le plus dur, au Sud. Le Rupal. Avec 4.500 mètres de verticale, il s’agit de la paroi la plus haute du monde. Bien qu’italiens, les deux frères originaires du Tyrol sont germanophones. Ils sont également de grands grimpeurs, aux multiples réussites dans les Alpes. Quand Herrligkoffer constitue son équipe pour retourner au Nanga Parbat, il choisit d’office Reinhold. Günther s’ajoute aux participants en dernière minute, suite à la défection d’un autre alpiniste, et sur proposition de son grand frère.
Depuis plusieurs années, les deux grimpent et s’illustrent dans les Alpes mais en partant pour l’Himalaya, ils entrent dans une nouvelle dimension. Une partie de l’équipe fait le long voyage par la route. Le chef d’expédition, Reinhold et quelques autres prennent l’avion quelques semaines plus tard. Les deux groupes se rejoignent fin avril 1970 à Rawalpindi, Pakistan.
Le camp de base au pied du versant Rupal
Quelques jours plus tard, un avion les emmène jusqu’à Gilgit et des jeeps prennent le relais sur des pistes cahoteuses. Il faut ensuite se résoudre à marcher. Une quinzaine de porteurs se répartissent de lourdes charges. Avec les alpinistes, la caravane compte près d’une trentaine d’hommes et une femme. Alice Von Hobe, pharmacienne munichoise de 30 ans, est de l’aventure. Elle ne grimpe pas mais compte bien se rendre utile au camp de base. Mi-mai, le dit-camp est installé au pied du versant de Rupal, à 3.600 mètres d’altitude.
Deux jours plus tard, un premier camp d’altitude est mis sur pied à 4.700 mètres. Les hommes se relaient pour équiper la voie entre minuit et dix heures du matin, avant que le soleil ne vienne transformer la paroi en fournaise. Les autres camps sont mis en place les jours suivants : camp II à 5.500 mètres, camp III à 6.000 mètres… Le mauvais temps s’immisce dans cette mécanique bien huilée et retarde tout. Le camp IV ne sera inauguré que le 23 juin, plus d’un mois et demi après le précédent, alors qu’il avait fallu 2 jours entre le camp II et le camp III !
Tout n’est pas rose dans le groupe, des rivalités entre grimpeurs, un chef d’expédition très rigide… Les longues semaines d’attente n’ont pas aidé à apaiser les tensions. Bien au contraire, le camp de base s’est transformé en cocotte-minute.
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L’attaque de Reinhold via le couloir Merkl
A la fin du mois de juin, à la faveur de quelques heures de beau temps restantes, Reinhold Messner s’engage seul dans la dernière partie de la face : le couloir Merkl. Merkl, c’est Willy Merkl. Un alpiniste décédé en 1934 sur cette même montagne. Son demi-frère ne rêve que d’une chose, honorer la mémoire du défunt alpiniste en domptant cette montagne. Ce demi-frère, c’est Karl Herrligkoffer, chef de l’expédition de 1970. Il était à la tête de la première ascension réussie en 1953, déjà obnubilé par le Nanga Parbat. Et c’est encore lui qui est de retour en cet été 1970 pour une tentative de première ascension du versant le plus difficile.
Contre le plan préétabli, Günther se lance à son tour dans la dernière partie de l’ascension. En quelques heures, en suivant la trace, il a rejoint son frère. Le surplus d’énergie dépensé pour rattraper son ainé lui manquera quelques heures plus tard, mais il ne le sait pas encore. La fin de l’ascension est dure, interminable, mais les deux Tyroliens finissent par se dresser au sommet du Nanga Parbat. Ils ont vaincu le Versant de Rupal.
La retraite forcée via le versant Diamir
Les deux grimpeurs sont éreintés. Günther ne se sent pas la force de descendre par la même voie. Ils finissent donc par se diriger vers un itinéraire de retraite supposé plus facile. Le Diamir. Mais ils ne connaissent pas ce versant et il n’est pas du tout équipé. Sans même une corde, ils n’ont pourtant pas d’autre choix que de se jeter dans ces pentes enneigées. Fatigue, hallucinations, les frères sont au bout de leurs forces. Un deuxième bivouac improvisé et la descente se poursuit. Alors que les alpages verdoyants sont enfin à portée de main, ils se séparent, sans trop le vouloir. Lorsque Reinhold commence à se faire du souci, ne voyant pas son frère le rejoindre, il est déjà bien trop tard.
Il va essayer de le retrouver, mais en vain. Une chute de séracs l’a certainement englouti. Dans la confusion, la fatigue aidant, Reinhold ne s’est aperçu de rien. Il est maintenant seul, à des kilomètres de son camp de base, séparés par un colosse de pierres, de neige et de glace. Le jour suivant, perdu, il trouve des paysans pakistanais qui vont l’aider à s’en sortir.
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Un seul miraculé : Reinhold
De l’autre côté de la montagne, le camp de base a été replié. La caravane s’est remise en branle, direction Gilgit. Elle rentre avec deux alpinistes en moins : les deux frères Messner. Les autorités pakistanaises finissent par joindre l’expédition et quelques jours plus tard, Karl Herrligkoffer est au chevet d’un Reinhold Messner miraculé.
Souffrant de gelures, il sera amputé de quelques phalanges. Cette terrible expérience, accompagnée d’un deuil inconsolable, n’aura pourtant pas été la fin de sa carrière. Bien au contraire. Dans les seize années qui suivront, Reinhold Messner atteindra le sommet de la totalité des montagnes dépassant 8.000 mètres d’altitude. Il sera le premier homme à réaliser pareil exploit, sans même utiliser d’oxygène supplémentaire. Il prendra sa retraite d’alpiniste dans les années 2000. Plusieurs observateurs contesteront la véritable réalisation du sommet par les frères Messner cette année là. Reinhold aurait-il trouvé plus facile d’accepter la mort de son frère en lui « offrant » cette victoire au sommet ?
Le corps de Günther Messner ne sera retrouvé qu’en 2005, calmant enfin la controverse. Il était bien sur le versant qui confirmait très certainement un passage par le sommet. Karl Herrligkoffer retournera au Nanga Parbat et sur bien d’autres montagnes d’Himalaya. Organisateur et chef d’expédition, il n’aura jamais atteint lui-même un seul de ces terribles sommets.
Illustrations © Moiz Ismaili – CC BY-SA 4.0