Si les Lucy Walker et Meta Brevoort sont souvent citées comme les premières femmes alpinistes dignes de ce nom, c’est sans compter sur Eléonore Hasenclever, pourtant peu connue de ce côté-ci du Rhin.
Eléonore Hasenclever est née durant l’été 1880 à Duisbourg, aux portes de Düsseldorf, dans la riche société du Royaume de Prusse. D’abord élevée à Francfort, elle atterrit rapidement dans un pensionnat pour jeunes filles sur les rives du Lac Léman, à Lausanne.
La montagne : une révélation
A l’occasion d’un voyage scolaire dans le Valais, elle découvre la montagne sur les hauteurs de Zermatt. Une révélation. Ses mots résument son ressenti : « Le bonheur qu’offre la montagne à ses adeptes est d’une nature à part ; on ne peut pas s’y forcer. Il suffit d’avoir connu ce bonheur une fois pour succomber pour toujours à son attirance » Quelques temps plus tard, elle dégote celui qu’on lui conseille comme le meilleur guide de la région. Alexandre Burgener, guide entre autres de Mummery.
A 19 ans, elle engage le guide valaisan pour découvrir la haute montagne. Lui, approche alors les 60 ans mais accepte de transmettre sa passion et son savoir. Eléonore apprend vite. En quelques sorties, il est surpris par sa facilité à grimper dans les rochers. Il la surnomme alors « Gämsli », comprendre « Petit Chamois ». Elle ne tarde pas à grimper son premier 4.000 puis les suivants. Burgener lui enseigne tout ce qu’il sait. Dès qu’elle peut, elle quitte son pensionnat, enfile un pantalon et file en montagne. Chaque été, ce sont plusieurs semaines qu’Hasenclever passe en altitude. Elle grimpe notamment le Cervin, à une époque où il était si peu fréquenté. Huit fois. Et des dizaines de 4.000 des Alpes, toujours avec Burgener !
L’élève dépasse le maître
En 1909, l’élève dépasse le maître. A la descente de leur ascension de l’Aiguille Verte, Burgener lui avoue qu’il n’a plus rien à lui apprendre. Elle grimpe alors avec d’autres compagnons de cordée et continue de collectionner les sommets. Elle guide même, comme avec Johannes Noll qu’elle entraîne à l’Aiguille des Grands Charmoz. Trois ans plus tard, elle devient Eléonore Noll-Hasenclever ! Elle ne s’éloigne pas pour autant des sommets. Elle réalise notamment la première traversée Cervin-Dent d’Hérens avec Welzenbach. A cette période, elle est l’une des rares femmes alpinistes.
La dernière ascension
Durant l’été 1925, un épisode va sceller définitivement le sort d’Eléonore. Le 17 août, avec les Munichois Hans Pfann et Hermann Trier, elle grimpe sur les hauteurs de Randa pour bivouaquer. Le lendemain à la première heure, ils filent vers les hauteurs. Dans cette journée au temps incertain, ils atteignent le sommet du Weisshorn, 4.506 mètres.
A la descente, ils sont pris dans une avalanche. Trier raconte la scène, il était lui-même blessé : « J’avais perdu mon piolet mais j’ai immédiatement commencé à creuser avec mes mains vers Mme Noll, à qui la corde me reliait. J’ai rapidement atteint un pied et j’ai tiré. Elle secouait son pied mais je ne pouvais la sortir de là. J’ai commencé à gratter comme une taupe, avec les mains. J’ai réussi à atteindre la ceinture, mais je n’y arrivais plus. Mes mains étaient gelées. Les signes de vie de Mme Noll s’étaient arrêtés depuis longtemps. ». Le lendemain, ce ne sont pas moins de 14 guides et porteurs de la vallée qui montent pour récupérer le corps d’Eleonore et sauver Hans Pfann, blessé mais toujours en vie.
A l’aube de la guerre, elle n’est pas en odeur de sainteté à Zermatt. Les guides locaux l’accusent de voler leur travail. Pourtant, ses réalisations en montagne la mettent au dessus de ces querelles de paroisses. Quand il est question de l’enterrer au cimetière des alpinistes de Zermatt quelques années plus tard, sa renommée balaye tous ces démêlés. Les guides suisses portent alors son cercueil, le regard grave, une couronne d’Edelweiss en guise d’adieu. Elle est alors baptisée « la meilleure alpiniste du monde ». Eléonore vient d’avoir 45 ans.
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