La vie n’est pas un long fleuve tranquille pour les stations de ski. Leur avenir est loin d’être garanti. Enquête.
Au tournant des années 1970, quand l’Etat a lancé la création de stations de ski par dizaines, nombre de propriétaires terriens, d’investisseurs avisés et d’entrepreneurs culottés ont trouvé un bon filon. Une ruée vers l’or qui semble désormais bien lointaine. Ce n’est plus en montagne qu’il faut venir pour « faire fortune ». L’or blanc fait désormais face à de nombreuses difficultés et si le tourisme de montagne constitue toujours un poumon économique des territoires de montagne, son avenir est loin d’être garanti. Réchauffement climatique, évolution des attentes des clients, transformation du marché du travail, nouvelles règlementations, impact de l’opinion publique. Les périls qu’affrontent les stations de montagne sont nombreux. Détaillons-les pour mieux comprendre les enjeux auxquels fait face ce secteur.
1. Le réchauffement climatique et la neige qui recule
Les conséquences du réchauffement climatique n’échappent à personne. A plus forte raison en montagne. Depuis le début du XXème siècle, les températures moyennes se réchauffent entre 1,5 et 2,6 fois plus vite (fonction des massifs) en montagne que sur l’ensemble de notre hémisphère. Et les conséquences sont d’ores et déjà visibles. Des températures automnales plus douces, des glaciers qui disparaissent, une élévation de la limite pluie-neige. Autant de phénomènes qui compliquent la capacité des stations de montagne à proposer un produit touristique fiable. Garantir l’enneigement est aujourd’hui de plus en plus compliqué.
Quant aux stations les plus basses, elles ont vu la durée de leur saison enneigée se raccourcir drastiquement. Et les canons à neige n’ont pas des pouvoirs magiques. Sans des températures assez froides, la production et la conservation de la neige sont difficiles. Les scientifiques estiment qu’en l’état, le nombre de stations proposant un produit ski pourrait se réduire dans les années à venir. A la fin de ce siècle, seules 24 stations pourraient encore proposer du ski, estiment certains.
2. Il nous manque du personnel !
A l’approche de chaque saison, c’est le même refrain. Les stations de montagne ont du mal à recruter. Hôtellerie, restauration, services, domaines skiables. Toutes les activités des stations sont à la peine pour trouver leurs collaborateurs. Et pour cause, dans bien des métiers, on ne travaille pas à l’année mais seulement quelques mois en hiver. Ces contrats de saisonniers n’attirent plus comme jadis et la fermeture des stations pendant le covid a accentué un phénomène déjà connu. Ceux qui ont trouvé une situation plus pérenne ailleurs ne sont pas près de revenir. Horaires décalés, pénibilité, difficultés de logement, il faut vouloir travailler en station de montagne.
Sur certains métiers, comme ceux de l’Hôtellerie-Restauration, le manque de personnel n’est pas propre à la montagne : ces métiers sont « en tension » partout. Enfin, le statut précaire des saisonniers, est également affecté par la réforme de l’Assurance Chômage. Une saison ne dure généralement que 4 mois, une durée de cotisation désormais trop courte pour prétendre à une indemnisation. Il faut désormais avoir travaillé 6 mois pour déclencher le chômage.
3. Recherche hébergement désespérément
A l’exception des clientèles locales notamment à proximité de Grenoble, les skieurs des stations françaises ont généralement besoin de se loger. Si les hôtels, clubs et hostels gagnent en popularité, le grand classique reste la location de meublés. Un parc locatif qui tend structurellement à se réduire au fil du temps. Les incitations fiscales encourageant les propriétaires à louer leur bien arrivant à échéance, couplées au vieillissement des appartements qui nécessitent des investissements en rénovation et on en arrive… aux fameux lits froids. Ces lits touristiques qui ne sont plus loués et donc que rarement occupés. Et un lit inoccupé, c’est un client en moins et toute l’économie de la station qui s’en ressent.
Dans certaines stations, c’est plus de 30% des lits qui sont considérés comme froids. Comprendre : l’équivalent du tiers des bâtiments de la station ne servent plus à rien. Et réchauffer un lit froid n’est pas une mince affaire, la rénovation prend du temps et a un coût non négligeable. S’ajoute à ce phénomène des lits froids celui du durcissement de la règlementation. La Loi Climat et Résilience devrait en effet interdire la location des appartements considérés comme « passoires énergétiques » d’ici 2028. De quoi réduire encore le parc locatif de certaines stations.
4. Le ski-bashing ou le danger de l’opinion publique
Quand on encourage les citoyens à réduire leur empreinte carbone, ils font le choix de se passer de certains voyages et loisirs. A l’image du flygskam, cette « honte de prendre l’avion » popularisée en Scandinavie. Dans un monde où l’opinion publique a tôt fait de simplifier certaines situations complexes, le tourisme de montagne peut se retrouver dans son viseur. Car l’empreinte environnementale des destinations d’altitude n’est pas négligeable. Gaz à effet de serre dégagés par les trajets des clients, énergie nécessaire pour chauffer les bâtiments parfois qualifiés de passoires thermiques, consommation d’eau et d’énergie des domaines skiables, artificialisation des sols de territoires connus pour leur biodiversité… Aller skier, profiter de ce loisir, contribue à cette empreinte environnementale.
D’après un sondage réalisé en 2022 par VoyagesPirates, 42% des Français réfléchissent désormais à l’impact écologique de leurs vacances avant de réserver. Et même si le ski est plus une victime du réchauffement climatique qu’une cause, les raccourcis n’effraient plus grand monde. Et la moindre pratique malheureuse, on se souvient de neige transportée ponctuellement en hélicoptère, déclenche polémiques et appels au boycott. Une ire de l’opinion publique facilitée par l’image de sport de riche qui colle à la peau du ski. Quand bien même des enquêtes récentes relativisent cette notion d’activité de privilégiés, prendre des vacances reste une logique offerte à ceux qui en ont les moyens. 4 Français sur 10 ne partent pas en vacances, jamais.
5. Quand l’électricité s’envole et les prix avec !
Ces dernières années, et encore plus ces derniers mois, le coût de l’énergie a suivi une courbe inflationniste. Les exploitants de stations de ski qui devaient renouveler leurs contrats avec leurs fournisseurs d’électricité l’ont bien compris. Certains prix ont été multipliés par 10, de quoi alourdir les charges d’exploitation des domaines skiables et tirer les prix des forfaits à la hausse. Cette saison, l’inflation touchera donc les prix des skipass. Ils sont quasiment tous en augmentation de +5 à +9% .
Les stations essaient de faire des économies d’électricité pour alléger la facture mais c’est un tour de force quand on ne veut pas dégrader la prestation proposée aux clients. Les menaces de coupures de courant pendant les pics de consommation hivernale viennent s’ajouter à ce constat. Garantir un produit ski à ses clients devient de plus en plus compliqué.
6. Les skieurs de demain et la volatilité de la clientèle
Quelques décennies en arrière, les classes de neige contribuaient à la découverte de la montagne. Des générations entières d’enfants ont découvert les joies du ski dans le cadre scolaire et sont devenus des clients des stations à l’âge adulte. Cette corrélation entre apprentissage précoce du ski et pratique future a de quoi effrayer les opérateurs de domaines skiables. Car année après année, le nombre de classes de neige décroit. Sur certains territoires, elles ont quasiment disparu. Le coût, les difficultés administratives, la responsabilité des enseignants ont été les premières causes. Entrainant la fermeture de nombreuses infrastructures. Résultat, les jeunes apprennent de moins en moins à faire du ski. Des clients en moins pour demain. Des initiatives sont lancées pour encourager les classes de découverte en montagne, comme en région Auvergne Rhône Alpes, mais plusieurs établissements ont encore fermé ces derniers mois, étouffés par la période de pandémie.
Si l’école ne permet pas de se mettre au ski, comment attirer cette cible ? La concurrence d’autres activités est rude. Même en montagne. Une enquête menée par Yoonly en 2018 montrait que les Millenials voulaient venir en montagne pour les paysages et les expériences nouvelles, plus que pour apprendre à skier. Une clientèle plus volatile et moins acculturée à l’univers de la montagne qui peut donc facilement changer de plan pour ses vacances. Les pistes de ski se retrouvent alors en concurrence avec des capitales européennes ou des destinations balnéaires.
Et dans 50 ans ?
Face à tous ces périls plus ou moins imminents, les stations de montagne travaillent à leur transformation. Elles cherchent un modèle plus résilient, plus en phase avec les évolutions des attentes des clients et de la société. La tendance de l’évolution vers un modèle 4 saisons, avec une activité plus étalée sur l’année, n’est pas un scoop mais il n’est pas si évident. Notamment quand il est synonyme de besoin en infrastructures coûteuses pour offrir des activités hors-ski à ses clients. De nombreuses stations sont nées en France dans les années 1970. Beaucoup de choses ont changé en 50 ans. Dans ce contexte chahuté, chaque station parviendra-t-elle à trouver un modèle pour être toujours là dans 50 ans ?
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