Le tourisme de montagne n’a pas toujours été synonyme d’hôtels clubs de 1.000 chambres aux formules all-inclusive. Il fut un temps où l’on trouvait dans les stations de ski, de charmants établissements au confort basique mais à l’accueil chaleureux et aux prix attractifs. On peut encore trouver de-ci de-là quelques hôtels de ce type mais ils sont clairement en voie de disparition, remplacés par des offres standardisées et sans surprise.
Pour celui que j’ai choisi, je n’avais pas beaucoup d’attente sur le confort, les commentaires internet étaient clairs : « Chambre très vieillotte avec des draps tachés et des toilettes ayant une odeur désagréable. Rien n’est fourni si ce n’est les serviettes, le ménage n’est pas fait il faut le réclamer et il est fait superficiellement ». Sur leur site, les photos des chambres ne sont pas si effrayantes et les commentaires sur la cuisine sont encourageants, je décide donc de réserver deux nuits. Pour à peine plus de 100 € par nuit, j’ai ma chambre et la demi-pension : le diner et le petit-déjeuner. Au pied des pistes, je n’hésite pas ! On verra bien. Réservation faite.
Il n’y a pas de réception…
Quand je gare ma voiture devant l’hôtel le lundi après-midi, le parking est quasiment désert. Je comprends vite que l’hôtel est loin de faire le plein. « En dehors des vacances, c’est surtout le week-end » m’expliquera la serveuse, quelques heures plus tard. Le bâtiment est petit et vieillot, j’entre dans le hall. Je cherche la réception, il n’y en a pas. A ma gauche, une salle de restaurant fermée – il est encore trop tôt – à ma droite, un petit bar éclairé. J’entre. Au fond de la pièce, assis devant un écran diffusant un match de foot, deux hommes discutent. L’un d’eux me souhaite la bienvenue. La réception est donc improvisée sur une table du bar, qu’à cela ne tienne ! En quelques secondes, je récupère les clés de ma chambre et fausse compagnie aux deux hommes. Celui qui m’a reçu n’est autre que le gérant, également chef du restaurant, mais je ne le sais pas encore.
La montée et le pallier sont sombres
Je monte l’escalier moquetté qui mène à la quinzaine de chambres de cet hôtel. Même lumière allumée, la montée et le pallier sont sombres. En haut de l’escalier, deux portes ouvrent sur des toilettes pour quelques chambres qui n’ont pas la chance d’avoir leur propre WC ! J’ai investi toute ma fortune dans ma chambre, j’ai donc droit à une salle d’eau complète, toilettes inclus. Ou presque. Lorsque j’entre dans la pièce, je découvre que seul un rideau d’un épais tissu sépare le coin salle d’eau du reste de la chambre.
Je suis seul, je n’ai pas trop de souci à me faire question intimité. D’autant que le coin salle d’eau est si réduit qu’on ne peut être assis sur les toilettes rideau fermé. Vous voyez le topo. Il y a trois lits 1 place, dont 2 superposés. Le mobilier est en bois massif. Ancien mais en assez bon état. La moquette est hors d’âge, elle a dû en voir passer… Bonne surprise, dans un tel contexte, on n’aurait pas été surpris par de grosses couvertures sur les lits, mais non ce sont des couettes. Les housses aux plis bien visibles me laissent penser qu’elles sont fraîchement installées sur ces lits. Quelques taches de-ci de-là mais j’étais prévenu. La chambre est surchauffée, je sors.
« Aigrie ? un peu mais surtout résignée ! »
L’hôtel est idéalement situé dans la station. Au pied des pistes, à deux pas de toutes les attractions possibles. Je fais un tour pour acheter mon forfait de ski pour le lendemain et installe mon matériel dans le petit local à ski à l’arrière de l’hôtel. Une heure plus tard, il est 19h15, l’heure du dîner pour les pensionnaires ! Je comprends vite que je suis le seul. La serveuse m’accueille avec le sourire. « C’est bien moi la chambre 106 ! » m’entends-je répondre à sa question.
Je m’installe à ma table. Je ne suis pas seul dans cette salle de restaurant à la décoration très chargée, une autre table est occupée par des touristes extérieurs à l’hôtel. Il y a du bois partout, au mur, au plafond. Un feu de cheminée crépite au fond de la pièce. Le repas est bon, des plats très copieux faits à partir de produits frais, servis rapidement. Si vite qu’à 20h30, je suis de retour dans ma cellule !
Lors du dîner du lendemain, où je suis vraiment tout seul dans le restaurant, la serveuse partage son désarroi. « Oh vous savez, tout cela n’existera plus dans 10 ans, peut-être même avant ». J’essaie de comprendre, elle continue : « les gens ne veulent plus venir chez nous, ils savent même pas ce qu’est une demi-pension, ils préfèrent manger des cochonneries dans la station. C’est bien la peine de passer ses journées en cuisine avec des produits frais ».
Il y a un peu d’aigreur dans son discours mais surtout de la résignation. C’est trop tard. « les petits hôtels c’est fini » ajoute-t-elle avant d’expliquer que ça fait près de 30 ans qu’elle est fidèle au poste dans cette salle de restaurant. J’essaie d’en savoir plus, elle répond : « pendant les vacances, on fait encore le plein mais peu de gens prennent la demi-pension. En dehors des vacances, il n’y a pas grand monde sauf le week-end, j’appréhende vraiment ».
« J’appréhende vraiment les week-ends ! »
Elle appréhende, car le week-end, c’est à chaque fois une surprise. Ce n’est plus la clientèle familiale traditionnelle de ce type d’établissement qui arrive. Mais une population plus jeune, qui a généralement réservé son week-end sur Booking sans trop savoir ce qu’ils allaient trouver… « Ils réservent sans savoir, quand ils arrivent ils sont déçus, ça ne leur convient pas et là Booking, ils sont plus là ! ». Pour autant, ces sites internet permettent à l’hôtel de remplir ses chambres une bonne partie de la saison : « beaucoup de jeunes qui viennent faire la fête, c’est compliqué à gérer quand vous devez appeler les gendarmes en pleine nuit ». Il y a 30 ans, elle n’avait pas ces problèmes. Son hôtel a beau être resté dans le passé, il est désormais confronté à la clientèle d’aujourd’hui. Saison après saison, les bénéfices s’amenuisent et l’enthousiasme avec. « Aujourd’hui, je fais ce qu’il faut pour que ça tourne, pas plus. On devrait faire des travaux, on ne les fait pas. A quoi bon ? ».
Derrière cette résignation, on lit non pas une difficulté à s’adapter à un monde qui change, mais une volonté de ne pas changer. Rester fidèle à ce qui se fait depuis des décennies, et qu’importe si tout le monde veut autre chose. A avoir raison contre tous, ne finit-on pas par avoir tort ? La fin de l’histoire est connue de tous, elle se compte en années. Quelques années.
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Illustration hôtel de montagne – une façade d’un chalet suisse – il ne s’agit pas de l’hôtel en question. Ce dernier n’est pas cité. © DR