Michael Fagin est américain. Depuis une quinzaine d’années, il accompagne de nombreuses expéditions sur les plus hauts sommets de l’Himalaya. Il ne chausse pas les crampons, mais il fournit l’assistance météorologique à distance. Ce prévisionniste des cimes reste chez lui, dans la banlieue de Seattle, et analyse ses modèles météo : « au début je faisais çà pour rendre service, pour des copains. En 2003, j’ai aidé une expédition dans la région du K2. Ils étaient tellement satisfait qu’ils m’ont dit : ‘on voudrait te payer !’ C’est comme çà que j’ai commencé ! ».
Routeur météo, 3ème de cordée…
Altitude News – Quelle différence entre réaliser des prévisions sur les sommets de l’Himalaya et les montagnes de Californie ou des Rocheuses ?
Michael Fagin – Les montagnes lointaines sont toujours plus compliquées, parce qu’il n’y a aucune collecte de données sur le terrain. Il n’y a pas de station météo qui permette de savoir ce qui se passe et surtout d’affiner et de perfectionner les modèles informatiques. Du coup, je dépends de mes clients. Je leur demande systématiquement un feedback. Qu’ils me disent ce qu’ils constatent sur le terrain. Pour que je puisse mieux calibrer, mieux préciser mes prévisions. Notamment sur les chutes de neige qui sont toujours difficiles à évaluer précisément.
A.N. – Dans ce type de prévision, une erreur ou la non-prise en compte d’un de vos conseils peut avoir des conséquences tragiques pour les alpinistes. Quelle pression…
M.F. – Je fais aussi des prévisions pour la région de Seattle et j’ai pas intérêt à me tromper, ça aussi c’est de la pression. Non, plus sérieusement, avant de router une expédition, je veux les connaître. Je veux voir leur CV, voir ce qu’ils ont fait, s’ils sont sérieux. Parce que parfois on a 6 modèles différents, aucun qui ressemble à un autre, on ne sait pas quel temps il va faire. Il faut pouvoir le dire à notre client. Généralement, c’est une discussion. Par texto, par téléphone aussi. On essaie de mesurer la durée d’une fenêtre de beau temps, on essaie de comprendre la situation sur le terrain. On travaille vraiment dans la confiance.
A.N. – Mais au final ce n’est pas le météorologue qui décide…
M.F. – Parfois mes modèles prévoient un temps parfait, avec beaucoup de certitude. Mais ils (les alpinistes) n’y vont pas. Ils sont sur le terrain, ils voient plus de choses. C’est leur job de décider, la météo n’est qu’une seule pièce du puzzle.
<< la météo n’est qu’une pièce du puzzle… >>
A.N. – Les avoir au téléphone, les écouter, les conseiller, partager ces expéditions… est-ce que ça ne vous donne pas envie d’en faire partie ?
M.F. – Je préfère être dans mon bureau chauffé, ici ! Je ne veux pas aller là-bas, si j’avais 20 ans je dis pas. Mais aujourd’hui, je me contente de ballades en montagne, ça me va très bien !
A.N. – Est-ce que votre technique et la précision de vos bulletins ont progressé au fil des années ?
M.F. – Sur les 5-10 dernières années, les modèles se sont améliorés. Notamment au sujet des vents, des jet-streams surtout. On est beaucoup plus précis sur les vents, on n’arrive pas à donner une vitesse précise comme ici aux US, mais une très bonne tendance, bien suffisante. En revanche, on doit encore progresser sur les chutes de neige. On a du mal à évaluer précisement les quantités qui vont tomber. Mais c’est quelque chose d’assez général, les météorologues du monde entier ont cette difficulté. Sauf que dans une expédition à 8.000m, quelques centimètres de neige peuvent vite être un problème.
A.N. – Cet hiver, une expédition polonaise va tenter de réaliser la première ascension du K2 (première hivernale), quels problèmes météo vont-ils rencontrer ?
M.F. – Les chutes de neige et les risques d’avalanche seront un problème mais pas majeur. En revanche, le vent et du coup les températures extrêmement basses vont être le principal danger, sur tout l’itinéraire. Les jet-streams sont très violents, surtout à cette période. Ça va vraiment être délicat.
Et en France :
Michael Fagin fait partie d’une poignée de spécialistes météo à avoir cette expertise sur le routage d’alpinistes. En France, Yan Giezendanner fait un travail comparable à celui de Michael. Pour en savoir plus, vous pouvez relire Le routeur des Cimes aux Editions Guérin : il y répond aux questions de Françoise Guais. Lui qui se considère comme « un troisième de cordée » a guidé de nombreuses expéditions. Souvent victorieuses, parfois dramatiques. Il s’occupait notamment du routage de Jean-Christophe Lafaille lors de sa disparition au Makalu.
EN SAVOIR PLUS > Le site de Michael Fagin